Nous sommes dans un contexte de guerre aux migrants

Entretien avec Emmanuel Blanchard

Q : L’Europe a de plus en plus tendance à sous-traiter la surveillance de ses frontières extérieures... À partir de quand assiste-t-on à ce phénomène dit d’externalisation ?

Une précision : lorsqu’on parle de l’Europe, il faut bien voir que la politique en matière d’immigration est surtout intergouvernementale, c’est-à-dire qu’elle est décidée par les gouvernements des pays membres. Il faut rappeler aussi que c’est parfois bien pire dans d’autres régions du monde. Les Etats-Unis, par exemple, s’apprêtent à construire un mur de plusieurs milliers de kilomètres sur leur frontière mexicaine.
Cela dit, d’une certaine manière, ce recul des frontières est consubstantiel à la construction européenne. Dès le Traité de Maastricht, il était clair que la libre circulation à l’intérieur de l’espace européen serait liée à une surveillance accrue des frontières extérieures.
Cette externalisation se fait avec des Etats, mais aussi avec des entreprises privées. Par exemple, une directive européenne prévoit la sanction des compagnies aériennes qui n’effectueraient pas les contrôles nécessaires. Ce qui pose des problèmes évidents : la Convention de Genève permet aux demandeurs d’asile de voyager sans papiers... mais aujourd’hui, qui peut prendre l’avion sans papiers ?
Car le vrai problème aujourd’hui c’est l’absence de droit à circuler. De plus en plus systématiquement, les réfugiés sont cantonnés au plus près de l’État qu’ils fuient. Aujourd’hui la plupart d’entre eux se trouve dans les pays du sud comme le Pakistan ou la Tanzanie, très loin des pays d’accueil.
Cette procédure n’est pas forcément négative, mais la généraliser c’est empêcher le droit à la libre circulation, c’est surtout se décharger de ses responsabilités.

L’externalisation consiste à reporter la charge de la surveillance des frontières sur différents acteurs, qu’il s’agisse d’entreprises privées, de pays de transit ou des pays d’origine, auxquels on demande d’enfermer leurs propres ressortissants. C’est ainsi qu’on peut parler aujourd’hui au Maroc d’émigration illégale, durement sanctionnée par la loi [1]. La situation est à peu près la même en Roumanie, et des négociations sont en cours avec le Sénégal. Rappelons que l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’Homme dit que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

Q : Le terme d’externalisation est emprunté au vocabulaire de l’entreprise...

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