Dure Malte, Hard Malta

Le Monde

À chaque rencontre, le schéma tendu est presque toujours le même : un tout petit confetti perdu au milieu d’un immense losange. Le confetti
représente l’île de Malte, le losange, l’étendue de sa zone de recherche
et de sauvetage maritime.

Plus de dix jours après le début de la polémique sur le refus des autorités maltaises d’accueillir des immigrants clandestins repêchés par des bateaux étrangers, sous prétexte qu’ils avaient été retrouvés dans les eaux libyennes, le débat sur l’afflux de ces « klandestini » va bon train dans les officines de la petite île méditerranéenne.

Le débat a pris une ampleur particulière à la suite du sermon de Franco
Frattini
, le commissaire européen chargé de la justice et des affaires
intérieures. Celui-ci a déclaré, le 3 juin, dans un entretien au
quotidien italien La Repubblica, que "l’obligation de sauver des vies en
mer procédait d’une tradition internationale qu’aucun pays n’avait
jamais violée ausi manifestement
".

"Nous sommes totalement conscients de notre responsabilité. Nos moyens ont toujours été adéquats jusqu’à présent, mais pas quand il s’agit d’aller dans les eaux libyennes, et bien que des vies soient en jeu", maintient cependant le commandant Carmel Vassallo, chef des forces armées maltaises, chargé des opérations de secours en mer, interrogé par Le Monde. "Nous ne sommes pas là pour porter le fardeau de la Libye qui manque à ses obligations."

Depuis 2002, Malte doit faire face à l’arrivée croissante d’immigrés
clandestins qui tentent leur chance à bord d’embarcations de fortune sur
les côtes libyennes jusque vers l’Europe. La plupart somaliens,
soudanais et érythréens, ils souhaitent gagner l’Italie ou l’Espagne.
Beaucoup connaissent des avaries. Aussi revient-il aux autorités
maltaises de les secourir, avec obligation de les ramener sur son
territoire.

Plus de 1 500 personnes arrivent ainsi sur l’île chaque année, contre
leur gré. Elles s’entassent ensuite dans des centres de détention, dont
plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) dénoncent les
conditions de vie.

Pour gerer cet afflux, la police maltaise a dû tripler ses effectifs.
L’armée doit également réclamer en cours d’année de doubler le budget
annuel de 1,6 million d’euros qui lui est alloué. Le gouvernement
maltais benéficie d’aides européennes, mais, malgré tout, il considère
le coût de gestion de ce phénomène trop élevé pour son budget. Il estime enfin le nombre d’arrivants trop important par rapport à la densité de sa population, la deuxième plus élevée au monde.

Ces arguments semblent porter leurs fruits. A la suite d’un débat
organisé mercredi 6 juin au Parlement européen sur les questions de
frontières maritimes, de droits des migrants et de solidarité
européenne, Franco Frattini est finalement convenu que "Malte ne
pouvait être seule responsable" dans le secours aux migrants. Il a
ainsi invité les membres de l’Union à concretiser les promesses de
matériels promis dans le cadre du programme Frontex, afin de constituer
des patrouilles communes en Méditerranée
. Il a, par ailleurs, demandé
aux Vingt-Sept de partager le "fardeau des centres d’accueil de
demandeurs d’asile
".

La ligne dure adoptée par le gouvernement maltais, avec laquelle
l’opposition est d’accord, est très influencée par l’opinion publique.
Cette dernière considère souvent que le pays en fait "dèja trop". Dans
les bistrots de la capitale, l’arrivée des klandestini suscite la
plupart du temps de cinglantes réactions. "On les voit le soir venir en
bateau à la télévision et, ensuite, on attend le bus avec eux le matin
",
résume à sa manière Vince Vassallo, 49 ans, pâtissier. "Ils veulent nos
terres, nos jobs
", glisse Joana Wella, une épicière de 36 ans.

Ces dernières années, plusieurs groupes d’extrème droite ont profité de
la montée des inquiétudes sur l’immigration pour se faire entendre.
Samedi 9 juin, c’est un nouveau parti politique qui doit être crée en
partie sur ce terreau. A l’image du "nouveau dicton" que Joana Wella
répète qui veut l’entendre : "Le bateau avec lequel vous êtes venu,
vous repartez avec.
"

Source : Le Monde