Centre de rétention en Espagne

Document de positionnement des organisations de la société civile espagnole

Au cours de ces dernières années, les politiques migratoires européennes se sont développées autour d’un axe dont la logique fondamentale est le contrôle et la répression des flux migratoires : militarisation des frontières, externalisation de leur contrôle, association des pays tiers dans la gestion des flux, simples déclarations sur les droits de l’Homme... L’enfermement des migrants est un élément essentiel de cette politique de gestion des flux.

Migreurop [1], réseau qui regroupe des organisations et des universitaires européens et africains , dénonce la multiplication des lieux d’enfermement des étrangers que les Etats membres de l’Union européenne mettent en place dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière. L’adoption de la « Directive retour » a institutionnalisé la généralisation de l’enfermement comme méthode de gestion des migrations. Les politiques deviennent de plus en plus restrictives ; les garanties démocratiques et les Droits de l’Homme se réduisent peu à peu.

On observe ce phénomène à la fois dans les Etats membres de l’Union européenne et dans les pays tiers incités par l’UE à retenir et à réadmettre leurs ressortissants expulsés par les Etats membres. Les systèmes d’enfermement varient d’un pays à l’autre, mais nous observons une généralisation de l’enfermement de personnes qui ont commis pour seule infraction une infraction de type administratif.

En Espagne, le fait d’être retenu dans un Centre d’Internement des Etrangers (CIE) concerne les personnes ayant commis une infraction administrative car elles ne disposent pas des papiers nécessaires pour pouvoir résider légalement dans le pays. Les personnes qui se trouvent dans cette situation peuvent se retrouver retenues jusqu’à 40 jours. L’entrée dans un CIE est soumise à une résolution de l’autorité judiciaire compétente. Le projet de réforme de la loi sur l’immigration prévoit d’allonger la durée maximale de rétention à 60 jours, ce qui constituerait une grave restriction des Droits de l’Homme.

En ce qui concerne la réglementation de ces centres, nous pouvons dire qu’alors que les centres pénitentiaires disposent d’une réglementation propre (la Loi générale pénitentiaire et le règlement correspondant), les CIE ont souffert d’un manque total de règlementation jusqu’en 1999. Cette année-là, le gouvernement a adopté un Arrêté ministériel sur les normes de fonctionnement et le régime intérieur des Centres d’Internement des Etrangers (qui prévoit l’accès des organisations à caractère social dans ses articles 6 et 13.2). Mais cette réglementation est arrivée tardivement et reste insuffisante : « tardivement » car le fait que les CIE soient restés pendant 14 ans sans la moindre réglementation a entraîné des prises de décision arbitraires ; « insuffisante » car le niveau juridique de cette norme- un simple arrêté ministériel- n’était pas approprié puisque cette norme entraîne une restriction des Droits de l’Homme.

Il existe actuellement neuf Centres d’Internement des Etrangers en Espagne : le centre de Zapadores (Valence), le centre de Zona Franca (Barcelone), le centre de Sangonera la Verde (Murcie), le centre de Capuchinos (Malaga), le centre de Carabanchel (Madrid), le centre de la Piñera (Algeciras) et les installations de l’île de las Palomas (Tarifa) qui dépendent de ce dernier, le centre de Hoya Fria (Tenerife), le centre de Barranco Seco (Grande Canarie) et le centre de El Matorral (Fuerteventura). A ces centres, il faut ajouter le hangar de l’aéroport de Lanzarote, utilisé comme Centre d’Internement, les deux Centres de Séjour Temporaire pour les Immigrants (CETI) de Ceuta et Melilla, ainsi que plusieurs centres de rétention informels dont on ne connaît pas la localisation exacte. Ces derniers ne sont pas reconnus officiellement comme des CIE, mais ils sont utilisés comme tels.

Au mois de mars 2008, la Commission « Liberté civile, Justice et Affaires Intérieures » du Parlement européen a rendu public un rapport d’évaluation des centres de rétention dans les pays de l’Union européenne. Voici quelques unes des conclusions rendues par cette Commission après avoir visité les centres situés sur le territoire espagnol :

  Les personnes sans-papiers sont soumises à un régime de détention excessivement strict de type pénitentiaire.
  La dégradation des conditions de détention est particulièrement grave dans les centres d’Algeciras, de Fuerteventura et de Malaga, où les infrastructures sont dans un état déplorable et où les équipements de base font défaut.
  Les centres manquent de personnel pour porter assistance aux migrants ; le personnel est presque exclusivement composé de fonctionnaires qui assurent la sécurité.

Dans le même sens, depuis des années, plusieurs organisations dénoncent les conditions de détention, la légalité douteuse des centres et les incidents et irrégularités qui se sont produits depuis leur création. De nombreuses manifestations ont eu lieu pour dénoncer ces conditions, des plaintes ont été déposées auprès du « défenseur du peuple », des pétitions ont été remises aux représentants locaux du gouvernement... Les ONG ont publié de nombreux rapports sur la vulnérabilité des droits dans les centres.

Le récit des incidents et des irrégularités qui ont été dénoncés de manière répétée par diverses organisations pourrait se résumer de la façon suivante :

  Internement des étrangers dans des lieux autres que les CIE qui ne réunissent pas les conditions basiques d’un centre de rétention (garage des commissariats, vieilles prisons ou casernes militaires abandonnées,...). Ces lieux informels sont souvent surpeuplés, de même que les CIE.

  Maintien du caractère pénitentiaire des CIE dont la création légale date de 1985, quand la « Ley de extranjeria » (loi sur l’immigration) fut promulguée. Cette loi précisait que les centres ne devaient pas être de type pénitentiaire. Nous constatons une violation de la décision du Tribunal constitutionnel 115/1987 du mois de juillet, dans laquelle le Tribunal a reconnu la constitutionnalité des Centres tout en précisant que ces derniers devaient respecter certaines garanties, parmi lesquelles figure leur caractère non pénitentiaire.

  Déficience des infrastructures et des équipements des centres, et manque de personnel approprié. Il a été établi que de nombreux centres sont mal entretenus. De même, les rapports des visites réalisées dans le centre de Malaga (en 2006) et de Algeciras (en 2007) en présence de plusieurs spécialistes et d’un parlementaire espagnol ont conclu à une déficience de personnel et d’infrastructures. Ces déficiences ont mis en danger la vie des personnes retenues, comme l’ont montré de façon dramatique une tentative de suicide et un avortement qui se sont produits dans le centre de Malaga en raison du manque de personnel médical approprié. Cette situation s’est vérifiée dans d’autres centres espagnols et elle a été dénoncée par le Défenseur du peuple à plusieurs occasions, comme ce fut le cas pour le centre de Murcie.

  Mauvais traitements et abus contre les personnes retenues dans plusieurs centres. En 2007, 30 femmes internées dans le centre de Carabanchel de Madrid ont envoyé une lettre à la Commission européenne en expliquant leur situation. Elles disaient : « On nous affament...le médecin n’a que du paracétamol à nous donner...Nous avons été témoins de maltraitances envers des personnes retenues... » En juin 2006, le Commissariat de la Province de Malaga a lui-même reconnu qu’il se produisait des faits graves dans le centre et que six femmes avaient été victimes d’abus sexuels.

A tout cela, il faut ajouter que les organisations de la société civile se voient refuser l’accès aux centres, en dépit du fait que ce droit est reconnu par l’arrêté ministériel de 1999 précité qui réglemente les Centres d’Internement des Etrangers en Espagne.

Migreurop lance une campagne pour demander un droit d’accès de la société civile dans ces centres. Nous demandons à l’Etat espagnol :

  De garantir légalement et sans restriction le droit d’accès de la société civile et des ONG aux lieux d’enfermement des étrangers.

  De garantir qu’un contrôle soit exercé sur la situation des migrants dans ces lieux d’enfermement et que ce contrôle soit réalisé par des organisations indépendantes des autorités nationales.

  De tenir la société civile informée de la situation dans les lieux d’enfermement en garantissant la transparence des informations.


LES ORGANISATIONS SIGNATAIRES :

Nous nous joignons à la campagne de Migreurop et nous exigeons un droit de regard de la société civile dans les Centres d’Internement des Etrangers. Concrètement, nous exigeons le respect de la législation en vigueur et la garantie du droit d’accès des ONG à ces centres.

Nous exigeons que les droits des personnes internées soient respectés et que les centres soient dotés du matériel et du personnel approprié pour que ces droits puissent être exercés dignement.

Nous manifestons notre opposition radicale à l’allongement de la durée maximale de la rétention dans les Centres d’Internement de 40 à 60 jours, telle qu’elle est prévue dans le projet de réforme de la loi sur l’immigration.

Enfin, nous comprenons ces revendications comme une étape en vue de la suppression des Centres d’Internement, considérant qu’une simple irrégularité administrative ne peut conduire à priver une personne de sa liberté.

ORGANISATIONS SIGNATAIRES : Les organisations membres de Migreurop en Espagne

ACSUR Las Segovias, Andalucía Acoge, la Asociación Pro-Derechos Humanos de Andalucía (APDHA), la Comisión Española de Ayuda al Refugiado (CEAR), la Federación de SOS Racismo.

ORGANISATION QUI SOUTIENNENT LA CAMPAGNE :

Pateras de la Vida, Pueblos Unidos