Un procès sans prévenu ni défense ?

Audience du 1er février 2010

Avertissement : un procès à charge Le compte-rendu de l’observation judiciaire réalisée par Migreurop, présent pendant toute la durée du procès, donne l’impression d’un procès qui s’est déroulé entièrement à la charge de prévenus. De fait, à partir du quatrième jour, la défense a décidé de quitter le prétoire, estimant, après le refus de la présidente du tribunal d’accéder à ses demandes d’information complémentaire et de renvoi de l’audience, que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies. C’est donc en l’absence des prévenus, de leurs avocats et des témoins cités par la défense qu’a continué le procès. Migreurop a cependant continué son observation, dont la chronique quotidienne tout au long des huit jours d’audience reflète une implacable construction. Une construction qui, à partir de l’interprétation de bandes vidéos pour l’essentiel illisibles, de dépositions recueillies dans des conditions contestables et de témoignages provenant tous de source policière, a abouti à un réquisitoire de plomb que n’étaye aucune preuve formelle de culpabilité.

Tribunal de Grande Instance de Paris, 16ème chambre correctionnelle, audience du 1er février 2010

L’audience est fixée à 14h00, le public s’amasse devant la porte de la 16ème chambre dès 12h30. Les effectifs de police sont moins nombreux que les jours précédents, il en va de même pour les journalistes et le public. Un contrôle d’identité paraît être effectué avant l’entrée de la salle. Les forces de l’ordre nous avait pourtant habituées à ne contrôler l’identité que des parties civiles, témoins et prévenus laissant le public entrer dans la salle librement. Une personne du public lancera alors aux gendarmes « c’est qu’il existe une liste noire pour certaines personnes ? ». Nous apprendrons plus tard que les gendarmes ne contrôlait apparemment au départ que la liste des personnes attendues au procès (parties civiles, prévenus...etc.).

La 16ème chambre correctionnelle est plus petite que la 31ème, 24 places assises seulement.

Dans la salle d’audience, les avocats de la défense sont accompagnés d’une représentante du Conseil de l’ordre et d’un représentant du bâtonnier.

14h00, l’audience débute. La présidente fait l’appel des prévenus, aucun n’est présent.

Me Terrel présente des conclusions de nullité. Tout d’abord, il est impossible pour les avocats de la défense d’accepter un calendrier d’audience qui leur semble être imposé. Me Terrel ajoute que le tribunal a fait abstraction de l’article 461 du code de procédure pénale qui stipule que « Si les débats ne peuvent être terminés au cours de la même audience, le tribunal fixe, par jugement, le jour où ils seront continués. ». Me Terrel appuie sur le mot «  jugement » et affirme qu’en l’espèce, lors de la dernière audience, il n’y a pas eu de jugement. Il n’y a donc pas de fondement juridique à l’audience d’aujourd’hui. Me Terrel ascène que « la défense doit être respectée un minimum » notamment en la concertant sur le calendrier des audiences autrement «  la défense ne l’acceptera pas ! »

Le Procureur répond à Me Terrel qu’aujourd’hui il s’agit bien de la suite de l’audience de mercredi et que ce n’est pas une nouvelle audience mais bien la continuité de celle du 27 janvier et qu’ainsi l’article 461 du code de procédure pénale n’est pas violé. Le procureur poursuit en soulignant que la défense demande une chose, l’obtient (référence à la levée des scellées des vidéosurveillances des CRA 1 et CRA 2) puis demande encore autre chose. Il conclut que le débat sur le calendrier de l’audience a effectivement été contradictoire puisque le bâtonnier était là, mercredi dernier, à la fixation des dates d’audience.

Le représentant du bâtonnier interpelle le tribunal et souligne que ce qui est discuté ici « c’est la bonne administration de la justice » tant au niveau de la violation de l’article 461 du code de procédure pénale qu’au respect du calendrier des avocats pour la fixation des audiences. Trois après midi d’audience, trois jours par semaine pendant trois semaines, c’est un emploi du temps très chargé qui doit être discuté pleinement entre les parties. Il conclut en émettant l’hypothèse que dans le contexte qui entoure le procès, l’importance du sujet et des débats, les audiences pourraient être repoussées à d’autres dates.

14h16, l’audience est suspendue.

14h24, l’audience reprend, la présidente du tribunal, Nathalie Dutartre, joint l’incident au fond et décide donc que les débats peuvent se poursuivre.

La défense s’insurge, l’audience «  se déroulera sans elle  ». Les avocats ainsi qu’une partie du public quittent la salle d’audience et ne reviendront pas. Nous apprendrons plus tard dans l’après midi qu’à la sortie de la salle, des contrôles d’identité ont été effectués sur des représentants du comité de soutien des "inculpés".

L’audience se déroulera donc entre le tribunal, le parquet, les parties civiles et leur avocat, l’avocat du trésor public, une dizaine de personnes dans la salle.

La présidente poursuit : « ouverture des scellées 13 qui comportent deux DVD, devant les parties civiles ». L’interprète est remercié puisque les prévenus ne sont pas à l’audience. Le tribunal lui demande de revenir à 14h00, tous les lundi, mardi et mercredi des trois prochaines semaines.

L’audience se poursuit : les deux DVD des scellées 13 concernent le CRA 1. Sur le premier DVD des vidéosurveillances de l’extérieur et de l’intérieur du bâtiment D, sur le deuxième DVD, l’intérieur du bâtiment E. La présidente précise que d’après les techniciens, les chambres 12, 24, 27 et 30 ont pris feu. Au visionnage du bâtiment D, nous verrons à l’écran, les chambres 28 à 25 et les chambres 30 à 32.

14h30, suspension d’audience avant le visionnage.

14h50, l’audience reprend. La présidente s’adresse aux parties civiles et leur demande d’être présentes les 9 et 10 février 2010, dates auxquelles, le tribunal devrait les entendre.

Mme Dutartre soulignent que « tout a commencé au CRA 1 », des vitres ont été brisées alors qu’au même moment au CRA 2, les détenus priaient. Elle ajoute que sur la bande vidéo du CRA 1 qui va être visionnée plusieurs des prévenus sont concernés.

Le visionnage du premier DVD commence, peu d’action à l’image. Le Procureur et la présidente demande à la greffière s’il est possible d’avancer sur la bande ou d’appuyer sur pause. Apparemment, ce n’est pas possible, le logiciel est "compliquée" et capricieux.

Première vidéo : quatre écrans sur l’extérieur et l’intérieur du CRA 1. Les détenus et les policiers paraissent calmes. Environ dix minutes après le début du visionnage des détenus sortent à l’extérieur du CRA puis des policiers semblent courir à l’extérieur et dans le couloir. De plus en plus de détenus à l’extérieur qui sortent en se protégeant la bouche et le nez. La fumée apparaît sur les écrans, les détenus sont gênés par la fumée. Leurs allers venues entre l’extérieur et l’intérieur continue. Aucun policier n’est présent à ce moment là sur les écrans. Deux finissent par apparaître sur l’écran qui retransmet les images du couloir puis disparaissent de l’écran. Ensuite, des détenus apparaissent dans le couloir et paraissent prendre un extincteur qu’ils emmènent avec eux vers ce qui parait être l’extérieur du centre. Les images des vidéos surveillance sont en couleur et d’assez bonne qualité. De plus en plus de fumée envahie les écrans. Dans le couloir, une des premières portes sur la droite, la tête d’une femme sort de l’encadrement de la porte, c’est un policier. Peu de temps après, un des détenus viendra à plusieurs reprises frapper à cette porte qui ne s’ouvrira pas.
La salle n’a pas les heures de déroulé des images, il est donc difficile d’apprécier la temporalité des actions par rapport aux témoignages recueillis ce jour là par les soutiens.
Le procureur semble reconnaître HB à l’écran « crâne rasé et jean bleu », la juge confirme. Toutefois, aucune infraction ne paraît être commise à ce moment.

A l’écran maintenant une cage grillagée qui fait le lien entre l’intérieur et l’extérieur du centre. Des détenus se sont réunis à cet endroit. Les policiers arrivent par l’intérieur de a cage grillagé, les détenus s’en vont en les voyant. Une vingtaine de policiers en sortent, arrivent à l’extérieur du bâtiment D puis sortent de l’écran. Nous les verrons réapparaître quelques instants après avec un fauteuil et du mobilier qu’ils s’empressent de mettre à l’abris dans la cage grillagée. Puis, le reste des policiers réapparait à l’écran, plusieurs d’entre eux semble porter quelque chose de très lourd mais nous n’arrivons pas à distinguer ce que c’est. Ils sont suivit de très près par de nombreux détenus. Les policiers continuent leur opération et entre tous dans la cage grillagée en évitant que les détenus y accèdent. La situation paraît un peu chaotique. Le procureur mentionne qu’il reconnait SA à l’écran. Au visionnage, S.A ne paraît pas commettre d’infraction.

16h00, une autre vidéo, sur l’extérieur du bâtiment D. Les détenus vont et viennent calmement. Après plusieurs minutes, les détenus commencent à se protéger le nez et la bouche des fumées à peine visibles au fond de l’écran. Quelques instants plus tard, les fumées sont devenues très présentes, de plus en plus de détenus à l’extérieur du bâtiment. Après quelques minutes, certains jettent des projectiles en direction du centre de rétention. Le procureur et la juge paraissent reconnaître SM et AW à l’écran comme les auteurs de ces tirs.

Puis une autre vidéo sur l’intérieur du bâtiment D, une porte y sera démontée mais il paraît difficile de voir ce qui s’est réellement passé. Quelques temps après, des détenus sortent d’une chambre en courant, de la fumée finie par en sortir. Le procureur et la juge ne font pas allusions à l’identité des personnes qui s’enfuient de cette pièce. La fumée envahit alors tous les écrans.

17h00, trois nouveaux écrans sur l’intérieur du bâtiment D. Environ quinze minutes après le début du visionnage, il y a de l’agitation dans les couloirs, des policiers arrivent puis plus personnes sur les écrans. Après quelques minutes, la fumée apparaît dans un couloir et dans un hall d’entrée, les détenus entrent encore à ce moment là dans le bâtiment alors que les couloirs sont enfumés. La fumée s’intensifie, les détenus continuent à faire un va et vient entre l’extérieur et l’intérieur. Les écrans de surveillance deviennent noir de fumée, la vidéo se termine.

17h55, l’audience est suspendue pendant dix minutes avant le visionnage du deuxième DVD concernant l’intérieur du bâtiment E du CRA 1.

18h05, reprise de l’audience.

Au visionnage de l’intérieur du bâtiment E, le procureur commente à l’audience et notamment aux journalistes encore présents, le bon état des locaux du CRA, sous entendant les bonnes conditions de rétention au CRA de Vincennes, mais aussi « la totale liberté de circulation des étrangers à l’intérieur des bâtiments ». Après plusieurs minutes de visionnage, le feu semble prendre au fond de l’écran, de la fumée apparait, des détenus fuis en se couvrant la bouche et le nez pour se protéger alors que d’autres se dirigent vers la fumée. Une fois de plus, une porte est sortie de ses gonds. La juge mentionne «  Bâtiment E détérioré également ». A l’image des détenus continuent de sortir du bâtiment. Le procureur demande aux parties civiles si ce n’est pas aussi les gaz lacrymogènes qui trouble les détenus. Les policiers répondent que c’est la fumée.
Le feu semble donc être parti du fond du couloir, de ce qui est visible à l’écran, les allers et venues continuent puis se calment, le bâtiment paraît se vider puis ça reprend environ dix minutes après.

18h36, une nouvelle vidéo, certainement une des entrées du bâtiment E ainsi que certains de ses couloirs. Il paraît y avoir plus de policiers à cet endroit. Ce doit être une partie de l’administration du centre. Le procureur de la république semble reconnaître Monsieur O. et A. à l’écran au niveau de l’espace dédiée aux jeux vidéos , il serait 15h24 d’après lui à ce moment là. Quelques instants plus tard, les détenus s’en vont, le procureur précise « on vient de les prévenir qu’il se passe quelque chose ».

18h45, nouvelle vidéo de l’intérieur du bâtiment E du CRA 1, divisée en sept écrans. Les détenus font des allers et venus entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment, rien ne se passe de particulier. Le visionnage se termine à 19h25.

19h26, l’audience est levée jusqu’à demain 14h00, même chambre. La présidente souligne qu’il reste les vidéos du CRA 2 a visionner, précisant que ces dernières sont plus longues que celles visionnées aujourd’hui.

L’audience du 1er février 2010, s’est donc déroulée sans la présence des avocats de la défense. Ces derniers organisent une conférence de presse le mardi 2 février 2010 à 11H30 au siège de la Ligue des Droits de l’Homme, 138 rue Marcadet, Paris 18, afin de dénoncer un procès inéquitable et le non respect des droits de la défense.