Incendie du CRA de Vincennes, le procès débute enfin en appel.

Compte rendu de l’audience du 6 octobre 2011

Le 22 juin 2008, le Centre de Rétention Administrative (CRA) de Vincennes prenait feu après plusieurs mois de tensions, au lendemain de la mort suspecte d’un des étrangers détenus. Quelques jours avant les faits, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté soulignait le « climat de tension et de violence » dans les CRA, en particulier celui de Vincennes.

A la suite de cet incendie, dix personnes furent mise en examen, puis condamnées en mars 2010 à l’issue d’un procès mené exclusivement à charge : estimant que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies, les avocats de la défense avaient quitté la salle d’audience au bout de quatre jours. Jeudi 6 octobre, le procès s’ouvrait à la cour d’appel de Paris, pôle 2-9, pour six d’entre elles.

L’audience fixée à 13h30 commencera à l’heure. Dans la salle, une cinquantaine de personnes : outre la formation de jugement, l’avocat général, quatre des prévenus et les avocats des parties – y compris celui du Trésor public –, sont présents les témoins cités à comparaître et quelques observateurs (mais d’autres ne seront autorisés à entrer qu’après l’ouverture des débats).

Début d’audience sur le fil

Le début de l’audience est marqué par un léger flottement. Plusieurs prévenus sont en retard, ainsi que certains des témoins appelés à comparaitre par la défense. Les avocats de la défense informent la cour qu’ils ont des mandats de leurs clients dans le cas où ils ne se présenteraient pas ce jour. Concernant les témoins, Maitre (Me) Terrel, avocate de la défense, souligne l’importance de leur audition et rappelle les conditions de déroulement du procès de première instance [1], qui n’ont pas permis qu’ils soient entendus. La défense annonce que le nombre de témoins est passé de neuf à sept et propose que la cour en entende quatre ce jour et trois le lendemain afin d’équilibrer sur les deux premiers jours d’audience. Les quatre témoins du jour sont présents. Le président, Gérard Lorho, parait décontenancé. Il rappelle que le code de procédure pénale prévoit la présence de l’ensemble des témoins en début d’audience, soulignant que ce « n’est pas un libre service ». La tension semble montée d’un cran dans la salle. Me Terrel rappelle que les témoins sont les mêmes que ceux de première instance. La formation de juge tente de se lever pour suspendre l’audience quelques minutes afin de prendre une décision mais Me Terrel les interpelle sur la nécessité d’entendre les témoins présents et annoncés. L’avocate informe la cour qu’effectivement il y a moins de témoins que prévu mais certains d’entre eux, notamment deux sénateurs, ne sont pas disponible les deux jours d’audition prévus cette semaine. L’audience est suspendue. En reprenant, quelques minutes plus tard, le président demande à ce que demain les témoins soient ponctuels et présents dès le début de l’audience. La défense acquiesce.

La demande de nullités

La défense, par la voix de Me Terrel, soulève des nullités « de principe ». Il s’agit de faire acter les principes dégagés par la CEDH, confirmés par la cour de cassation et par lesquels la cour d’appel est liée car d’application directe et immédiate. D’après elle, les prévenus n’ont pas pu bénéficier du droit au silence et de l’assistance effective d’un avocat au cours de leur garde à vue. Elle plaide donc pour l’annulation des procès verbaux d’audition de ces gardes à vue, entachés de nullité [2].

L’avocat des parties civiles intervient alors pour préciser que si la nullité devait être prononcée elle devrait se limiter aux procès verbaux dressés aux personnes qui ont été effectivement placées en garde à vue.

L’avocat général répond par deux observations, menant selon lui au rejet des griefs formulés par la défense contre la procédure d’enquête. Il déclare d’abord, sans expliciter davantage, que la cour ne serait pas liée par la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), celle ci n’étant pas la Convention [3] elle même [4]. Il ajoute qu’un arrêt rendu par la CEDH n’est pas systématiquement un arrêt de principe puisqu’il se réfère à des faits précis propres au cas d’espèce étudié par le CEDH. Il poursuit avec l’argument tiré du code de procédure pénale selon lequel l’ordonnance de renvoi purge toutes les nullités de la première phase : il serait donc trop tard pour demander la nullité de ces gardes à vues. L’avocat général termine en soulignant que tous les prévenus n’avaient pas demandé d’avocat. Le président décide de joindre l’incident au fond.

Rappel des faits

Avertissement : le rappel des faits est basé sur ceux relatés en premier instance sans la présence des avocats de la défense. Ce dont la cour dispose (les témoignages de policiers, les informations de l’instruction que la défense qualifie de bâclée…etc) n’est donc qu’une vision des faits). Une autre approche des faits ici : http://www.migreurop.org/article1610.html

Le président procède au rappel détaillé des faits, tels que dégagés en première instance. Le lien est établi avec le décès de Salem Souli, la veille 21 juin 2008, dans le centre ; mais le juge ne mentionne pas les circonstances dans lesquels ce décès est intervenu. Il poursuit en décrivant les événements consécutifs à la mort de Monsieur Souli et les réactions de ses co-« retenus ». Des témoignages de policiers évoquent des matelas brûlés dans une chambre du CRA 2 et des départs de feu maîtrisés dans les CRA 1 et 2 dès le 21 juin. Cette version est corroborée par le journal de garde tenu par les policiers qui fait état de deux départs de feu. Le jour même, après un retour au calme, M. Brard, sénateur, demande à visiter les lieux. Il signale une « tension palpable ».

Le président poursuit : le 22 juin 2008 une trentaine de personnes manifestent à l’extérieur du centre suite à la mort de Salem Souli et en soutien des sans papiers retenus. D’après les témoignages des policiers, ils auraient lancé des fumigènes sur les policiers présents et les auraient invectivés.

A 15h00, un rassemblement s’organise dans le CRA 2, puis dans le CRA 1 en mémoire de la mort de Salem Souli . D’après les témoignages de policiers, cette marche aurait été ponctuée de prières et d’appels à la révolte, les manifestants à l’extérieur appelant les retenus à se libérer, et les policiers étant pris à partie et traités d’ « assassins ».

A 15h35, le bâtiment du CRA 2 et des matelas sortis quelques minutes plus tôt dans la cour prennent feu. Le CRA 1 prend feu par la suite.
A 15h46 des projectiles, principalement des dalles, auraient été lancées contre les vitres du bâtiment et sur les policiers.

Les « retenus » présents au centre ont ensuite été évacués et regroupés dans le gymnase de l’école de police proche du centre. Le président souligne qu’il ne lui a pas été possible de savoir si 158 ou 209 retenus sur les 249 présents dans le centre ont été regroupés dans ce gymnase, les informations étant contradictoires dans le dossier. Il rappelle que l’incendie n’a causé aucune victime, si ce n’est des intoxications liées à l’inhalation de fumée. Trois policiers ont témoigné de fractures qualifiées de blessures légères. Concernant les dégâts matériels provoqués par les deux incendies différents, le bâtiment E a été dégradé ainsi que du mobilier, le bâtiment D du CRA 1 a été ravagé par le feu tandis que le toit du bâtiment C du CRA 2 menaçait de s’effondrer.

Les conclusions de la police scientifique font état de départ de feu volontaire et évoquent l’utilisation de briquets et/ou d’allumettes, suffisants pour mettre le feu à des draps et des matelas.

Le président poursuit : les systèmes de vidéo surveillance révèlent des scènes d’allers et venues, de caillassage, de déplacements de matelas, et des bousculades. D’après les témoignages de policiers, les tentatives de la police pour éteindre les feux se sont soldées par un échec, certains des extincteurs ne fonctionnant pas ou bien la fumée était trop importante pour pouvoir intervenir.

Le témoignage du sénateur Brard devant le juge d’instruction évoque des tensions dans le centre, confirmées par les témoignages des policiers. Un des retenus, en contact avec un comité de soutien à l’extérieur, fait part de son angoisse et d’une rumeur qui a circulé dans le CRA à la suite de la mort de Salem Souli selon lesquels « ils tuent des retenus ».

Le jugement de première instance niait tout caractère intrusif à la présence policière et qualifiait les conditions de rétention « correctes », le centre offrant selon lui aux retenus « toute latitude pour circuler ».

D’après le président, les prévenus, quant à eux, auraient dénoncé leur enfermement et les brutalités policières pour certains, soulignant le sentiment d’être en prison et de ne pas avoir commis de crime. Certains prévenus sont revenus sur la nourriture du centre, qualifiée par l’un d’entre eux de « dégueulasse » et demandaient également un accès plus important à la télévision et aux cigarettes.

Le président poursuit avec les témoignages des policiers qui expliquent que le matin du 22 juin, tout était calme, mais que dans l’après midi, ils ont été débordés par la situation. Ils affirment que malgré l’interdiction de briquet dans les bâtiments, il y en avait. D’après eux, des tentatives de dialogues auraient été engagées mais « la barrière de la langue » était pour eux une difficulté.

Les raisons de l’appel

Les prévenus qui font appel de la décision de première instance sont :

E. M.

A. D.

M. D.

N. A.

M.S.

Ma. D.

Ils ont fait appel car ils contestent être coupables des faits qui leur sont reprochés, notamment être les auteurs volontaires des départ de feu.

Les vidéo surveillances

Le président rappelle que les avocats de la défense ont demandé à la cour d’appel, il y a quelques mois, une audience de procédure afin de demander plusieurs nullités. La défense demandait notamment d’obtenir des copies des vidéo surveillances afin de pouvoir les visionner. En première instance cette même demande avait été formulée mais rejetée par les juges. La cour y a en revanche accédé. Les avocats ont donc pu avoir accès à ses vidéos.

Les témoins de la défense entendus pour la première fois

Avant chaque témoignage, le président demande au témoin présent à la barre de décliner son identité, de dire s’il ou elle a été directement témoin ou non des événements du 22 juin, et si oui ou non il ou elle entretient des liens avec les différents prévenus. Les témoins jurent de dire la vérité et toute la vérité.
L’un des deux assesseurs guide l’entretien par ses questions.

1er témoin : 39 ans, prof de philo

Le témoin n’était pas présent au CRA le jour de l’incendie et elle ne connaissait pas personnellement les inculpés à l’époque des faits. C’est à partir de décembre 2008, dans le cadre de son militantisme en faveur de la cause des sans-papiers qu’elle commence à entretenir une correspondance avec E. M.. Celui-ci est alors détenu à la prison de Fleury-Mérogis depuis le mois de juillet, Le témoin rapporte la gentillesse de l’inculpé et la détresse dans laquelle il se trouve à ce moment là. Privé de tout contact avec l’extérieur, ne comprenant pas sa situation, habité par un sentiment d’abandon et de « perte de soi » il s’inflige des violences et s’automutile. Par le biais d’une correspondance régulière et de visites ils établissent une relation de confiance qui amène Monsieur E. M. à lui raconter son histoire et sa perception des évènements du 22 juin. Il fait partie des personnes qui découvrent le corps de Salem Souli et qui préviennent les policiers. Transféré dans le centre de rétention de Lille le jour même à la suite de l’incendie, et en état de choc, il ne bénéficie d’aucune information sur sa situation. Il finit par être libéré du CRA de Lille et est rapidement appréhendé pour être placé en garde à vue et interrogé sur Paris. Monsieur E.M. fera par la suite plusieurs tentatives de suicide. Le témoin revient également sur les conditions ayant poussé Monsieur E.M. à venir en France – le décès de sa mère, la grande précarité et l’idée de « tenter sa chance » en France.
Depuis sa sortie de prison il tente de se reconstruire avec l’aide de compagne mais est psychologiquement très fragile, il a d’ailleurs fait de nouvelles tentatives de suicide. Il parle d’une « vie brisée ».

2ème témoin 2 : 71 ans, prof de physique retraité

Il est un témoin direct de l’incendie du 22 juin 2008 car il participait au rassemblement organisé devant le CRA de Vincennes en soutien aux détenus du centre suite au décès de Salem Souli. Le deuxième témoin connait monsieur M. D. et sa famille avec qui il entretient des liens suite à l’incendie du CRA. Le témoin intervient donc à double titre, témoin des événements et proche de la famille de M.D..
Il rapporte une ambiance plutôt décontractée parmi les soutiens réunis devant le CRA jusqu’à environ 15h30 où il assiste à une agitation manifeste parmi les policiers, certains sortant avec des extincteurs ne fonctionnant pas dans les bras. Il insiste en particulier sur la vitesse de propagation de l’incendie, le feu se développant très vite « comme un feu de foin » et de manière très spectaculaire « comme dans un film américain ». Il fait par ailleurs état de l’arrivée tardive des pompiers, soit, d’après son estimation, 50 minutes après le départ du feu. Ils ne seraient intervenus avec les lances à incendie qu’à 16h58, soit environ 1h30 plus tard. La cour relève un décalage entre les horaires fournis par le témoin - qui a d’ailleurs des photos datées venant corroborer sa version et qu’il est prêt à fournir à la cour comme annexes au dossier - et celles des pièces versées au dossier qui mentionnent l’appel des policiers aux pompiers à 15h41, pour une arrivée sur les lieux à 15h47. Concernant la situation dans le CRA, il évoque des cris mais il n’a pas été témoin d’affrontements.
La deuxième partie de son témoignage est consacrée à Monsieur M.D. et sa famille. Leur relation débute à son initiative. Il a entendu son histoire, il décide de demander au juge d’instruction un parloir à la prison de Fleury-Mérogis afin de pouvoir aller le rencontrer. Il fera connaissance par la suite l’ensemble de sa famille dont il commence à raconter l’histoire déchirante. Il sera interrompu par Monsieur M.D. lui même qui s’offusque du comportement de différentes administrations à son égard. Quand il reprend la parole, le témoin conclut sur l’admiration qu’il a pour cette famille.

3ème témoin 3 : Jean Pierre Dubois, 41 ans ex-président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), professeur de droit

Il n’est pas témoin direct des faits mais intervient au nom des militants de la LDH qui suivent les problématiques de la rétention et en particulier à Vincennes depuis de nombreuses années. Il rappelle qu’il ne s’agit pas du premier incendie dans le CRA, il avait en effet été informé dès février 2008 d’un autre départ d’incendie. Il souligne l’existence d’un rapport de la Commission nationale de la déontologie de la sécurité qui, à la suite de ce départ de feu, mettait en doute le respect des normes de conformité du matériel dans le centre de Vincennes. D’après M. Dubois, le rapport fait également mention de l’utilisation d’un Taser sur un retenu ainsi que de violences policières. Il rappelle par ailleurs que les centres de rétention sont, depuis longtemps et bien avant 208, le théâtre de grèves de la faim, tentatives de suicide et auto mutilations.

Enfin, après un bref aperçu des proportions de la rétention en France, il met en lumière les spécificités de Vincennes, notamment en termes de concentration d’étrangers sans papiers (effectif du centre : 240 places) et corrélativement, les difficultés que cela implique en termes d’accès au droit et de suivi des personnes.

L’un des assesseurs demande alors ce que le témoin peut rapporter des conditions dans ce centre de rétention. M. Dubois répond qu’il a déjà visité le centre de rétention proche de Sangatte mais pas celui de Vincennes, et rappelle que le LDH est contre l’idée même d’enfermement administratif.

4ème témoin : 71 ans, médecin psychiatre retraitée

Le témoin n’est pas un témoin direct des faits mais dans le cadre de sa lutte militante elle connaît personnellement S.E. [5] et a déjà rencontré à plusieurs reprises M.D. et E.M..

L’assesseur commence par lui demander de définir le type de militantisme dont elle se revendique. Le témoin parle de sa conviction en la libre circulation des personnes, qui se traduit par l’aide aux personnes à faire valoir leurs droits. Le témoin est entré plusieurs fois dans le CRA de Vincennes en tant que visiteur. Toutefois, elle précise que sa connaissance du centre est forcément limitée puisque l’accès physique se limite aux parloirs avec un retenu et en présence d’un policier. En revanche le dialogue qui s’engage avec le « retenu » permet d’avoir des retours sur la réalité des conditions de rétention.
Elle répond par l’affirmative à la question (surprenante, NDLO) posée, sous forme affirmative, par un des assesseurs, selon laquelle l’enfermement, et une concentration importante des personnes « retenues », seraient des facteurs propres à exacerber les tensions et l’énervement.

Elle conclut enfin sur le cas particulier de Monsieur S.E pour qui le « procès de Vincennes » a eu des conséquences dramatiques, handicapé à vie [6], « c’est un homme fini ».

Après ce dernier témoignage, le président lève l’audience et insiste une dernière fois sur la nécessité que les témoins soient présents dès le début de l’audience du lendemain, faute de quoi ils ne seront pas entendus.