« Les faits, rien que les faits ? »

Audience du 27.10.2011

Plaidoiries des parties civiles

L’Etat, « victime d’un préjudice important »

13h30, la plaidoirie d’une avocate des parties civiles commence à un rythme effréné. Elle intervient en tant qu’organisme social des fonctionnaires de police et en qualité d’agent judiciaire du trésor. Son débit de parole et le faible niveau sonore rendent la compréhension difficile. Elle affirme que les faits imputés aux six prévenus ont été commis en réunion ce qui constitue une circonstance aggravante. Elle demande par ailleurs le remboursement du préjudice subi par l’Etat, soit une indemnisation évaluée à 16 000€, pour la prise en charge des traitements et frais médicaux engendrés par les blessures des policiers.

L’avocate répète à plusieurs reprises qu’elle ne souhaite pas se substituer à l’accusation, en tant qu’avocate des parties civiles. Tout de même, pour elle, la culpabilité des prévenus concernant les dégradations matérielles et les départs de feu volontaires ne fait aucun doute. Les prévenus auraient tous été identifiés au cours des différentes actions qui leur sont reprochées, et les arguments avancés par la défense ne seraient ni crédibles, ni valables.

L’Etat, en tant que propriétaire des lieux, s’estime victime de dégradations volontaires et demande réparation.

L’avocate, anticipant d’éventuelles accusations portées contre l’Etat impliquant sa responsabilité quant à la rapide propagation du feu, en raison notamment de la non-conformité aux normes incendies, souligne le caractère volontaire de l’incendie. Elle précise en effet que quelle qu’ait été la rapidité de propagation de l’incendie, cet élément ne pourra intervenir qu’au stade de l’évaluation du préjudice (pour venir en limiter le montant), mais en aucun cas au stade de la détermination des causes de l’incendie. Aucun partage de responsabilités n’est donc possible.

L’avocate ne peut chiffrer le montant exact des dégradations consécutives aux incendies, dans la mesure où la reconstruction n’est pas finie. Cependant, elle rappelle déjà que deux bâtiments ont étés complètement détruits, et qu’un seulement a pu être réhabilité.
Elle finit par préciser qu’elle a parfaitement conscience de la faiblesse des chances pour l’Etat d’obtenir le recouvrement de sa créance, les retenus étant « probablement insolvables ».

Des policiers « exemplaires »

La seconde avocate, représentant les fonctionnaires de police débute sa plaidoirie en remerciant le président pour le climat apaisé et serein dans lequel le procès s’est déroulé en comparaison avec la première instance. Pour elle, ce procès n’est pas celui des CRA, dont elle rappelle par ailleurs l’existence légale depuis 1981. Elle fait référence au rapport de la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), selon laquelle « en dépit de certaines imperfections » le CRA de Vincennes « ne saurait mériter les critiques acerbes dont il a fait l’objet ». Elle ajoute qu’on ne peut faire amalgame avec un camp de prisonniers ou de concentration et se scandalise de l’emploi de l’expression « Chaudron prêt à exploser. »

Pour l’avocate, « tout est fait pour que ça se passe au mieux » et limiter les conditions de stress dans le centre de rétention en offrant « le plus de latitude possible » et grâce aux nombreux aménagements mis en place afin de faciliter la vie en rétention. Et de se lancer dans une liste exhaustive des « privilèges » : cigarettes, distributeurs de confiserie, téléphone, visite des familles, salle de jeu, facilitation des allées et venues au sein du centre. A l’intérieur, la présence policière est allégée, « réduite à sa plus simple expression » les fonctionnaires venant même « déséquipés » au CRA (sans leurs gants matraques, armes à feu, etc.) ou uniquement dans des moments où ils sentent que leur sécurité peut être en danger.

A propos de la mort de Salem Souli la veille de l’incendie, dont elle reconnaît le rôle dans le contexte général des événements, elle souligne qu’il s’agit d’un problème médical et non de violences policières. Policiers qui sont par ailleurs intervenus « dans les règles de l’art » lors de l’évacuation de M. Souli.

La chronologie des événements reprend, jusqu’à la marche silencieuse du 22 juin, à la suite de laquelle les violences ont débuté. Au cours de ces violences les agents de police auraient été rapidement débordés car obligés d’intervenir sur les deux CRA en même temps [1]. Lors des échauffourées, une policière est attrapée par les cheveux puis jetée à terre et frappée de coups de pieds, les fonctionnaires font usages des bombes lacrymogènes afin de pouvoir se replier et fermer les grilles [2]. L’avocate justifie l’utilisation des gaz lacrymogènes par les policiers, sous le feu de jets de projectiles « impressionnants », pour se défendre.

Elle apporte des précisions sur ce point : bien que les pierres n’aient ni atteint les policiers ni même traversé les grilles, cet acte constitue tout de même une violence, en vertu d’une jurisprudence selon laquelle : chercher à « impressionner » revient à commettre un acte de violence.
Elle reprend la chronologie des matelas sortis dans la cour, des incendies, puis de l’évacuation des retenus.
L’avocate introduit ensuite un point sur la recevabilité des demandes de la partie civile, qui sera par la suite contesté par l’avocate de N.A. [3]

Au total les préjudices physiques sur les policiers se résument à une fracture de l’orteil, et un problème de surdité.

L’avocate demande également la confirmation de la condamnation à 200€ au titre du préjudice moral. En effet, les policiers auraient établi avec les retenus une relation de confiance du fait de leur fréquentation quotidienne et auraient subi un grave « préjudice moral » quand les retenus se sont subitement retournés contre eux. La plaidoirie se finit sur l’apologie du travail accompli par les forces de l’ordre, travail « remarquable », ayant évité un drame bien plus grave sur le plan humain : « ils ont tout mis en œuvre, au mépris de leur propre vie », pour mettre les retenus en sécurité.

Réquisitoire de l’avocat général [4] : on prend les mêmes et on recommence

L’avocat général, Jean-François Cormaille de Valbray, rappelle d’abord que six des personnes condamnées en première instance ont fait appel du jugement rendu le 17 mars 2010 (E. M. ; A. D. ; M. D. ; N. A. ; M.S. ; Ma. D.). Ce jugement les avait condamné, collectivement ou distributivement, à des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 36 mois pour dégradation ou destruction du bien d’autrui et violences aggravées, notamment par la réunion.

Dans son réquisitoire, l’avocat général va se concentrer sur les premières déclarations des prévenus en garde-à-vue, garde-à-vue dont les nullités ont été invoquées par les avocats de la défense pour s’être déroulées sans la présence d’avocats et donc en contradiction avec la jurisprudence de la CEDH [5] . Sans tenir compte des audiences en appel, le réquisitoire consistera principalement à faire émerger les contradictions entre d’une part, les dépositions successives des prévenus pendant leur garde-à-vue et la phase d’instruction [6]. et d’autre part, les vidéos, sans tenir compte de leurs comparutions en appel. Il fera davantage la preuve de son éloquence que celle de la culpabilité des prévenus mais demandera la confirmation de toutes les peines au motif de la « partialité des aveux », des « dénégations et contre-vérités » [NDLO].

En préambule, il affirme qu’il ne commenterait pas le contexte [7] car, s’il a bien « entendu les témoignages d’humeur des uns et des autres », les CRA ont néanmoins une existence légale et que son rôle est de faire appliquer la loi.

Il poursuit en résumant son credo : « Les faits, juste les faits, rien que les faits » ; félicite le président de la cour pour la sérénité et l’exhaustivité des débats [8], qu’il estime préférable à la « politique de la chaise vide » de première instance, et remercie le président pour avoir « tenu bon le cap de ne voir que les faits seulement ». Il rend par ailleurs un hommage au « sang-froid absolu » des forces de police qui auraient procédé à l’évacuation des retenus « dans des conditions exemplaires » et permis d’éviter que quiconque ne soit blessé au cours de cet « incendie ravageur ». Il conclut en affirmant que « chacun a fait son travail, et ce travail a été bien fait ».

L’avocat général fait ensuite quelques observations sur la tenue du procès en appel des inculpés de Vincennes. Il estime positif que le visionnage des vidéos ait pu avoir lieu en public : « La justice n’est pas une boîte noire, c’est un lieu de transparence. ». L’originalité de ce dossier tient selon lui à « deux éléments objectifs forts », les bandes vidéo et les témoignages des policiers. Face à ces faits, le système de défense serait celui de la « dénégation », de l’ « interprétation », pour finalement parvenir à des « aveux en fin de course très partiels. » Il rappelle enfin que les faits ont été commis dans un laps de temps très court, « entre gens qui se connaissaient ». Il évoque une « rencontre » dans le CRA et une certaine « communauté d’intérêt » reposant sur la nationalité : d’un côté, le groupe des maliens dans le CRA2, de l’autre celui des marocains dans le CRA1.

L’avocat général va s’employer à examiner le cas de chaque appelant successivement, toujours selon le même plan : un bref rappel de la condamnation et du casier judiciaire, puis l’examen des « faits », d’après la vidéo, le décryptage des déclarations successives des condamnés, les témoignages de la police, avant d’en déduire ses réquisitions.

Ma.D.

Il a été condamné en première instance à trente mois d’emprisonnement dont six avec sursis, pour destruction du bien d’autrui par objets dangereux. L’avocat général dresse le casier judiciaire de l’inculpé, énonçant quatre condamnations (pour infractions relatives aux stupéfiants, aux biens, et à la législation des étrangers) dont il ne détaille pas le contenu.

Dans les vidéos, on voit Ma.D. participer à la marche collective, au deuxième rang, il est donc « présent dans le mouvement ». Il entre dans une des chambres, y dépose de la literie, soupçonnée de servir de combustible dans l’incendie, se déplace dans les couloirs du CRA. On le voit également pénétrer dans une autre chambre, avec un linge (ou un journal ?) enflammé entre les mains, au moment où « d’autres » cherchent à masquer la caméra de surveillance. Peu après sa sortie de la pièce, en même temps que Messieurs A.D. et M.D., concernés par une « même action » dont ils partageraient « la finalité », « de la fumée s’échappe du chambranle et finit par envahir les couloirs. »

A l’occasion de ses déclarations successives, Ma. D. affirme d’abord en garde à vue, « avec une certaine audace », « n’avoir rien fait » et « rien vu » : il a certes participé à la marche mais n’aurait sorti aucun matelas. L’avocat général remarque que le prévenu ne s’inscrit pas là « dans le droit chemin de la vérité » ce qui, pour lui, signifie « que l’on a beaucoup de choses à cacher. » Le discours de Ma. D. évolue, il « admettra ensuite avoir sorti un matelas et affirme au sujet de la serviette enflammée qu’il a entre les mains, l’avoir ramassée par terre pour la jeter dehors ». Le parquet interprète ces déclarations comme un « pur mensonge », une volonté délibérée de « dissimuler l’action ». Enfin, Ma. D. dira avoir masqué la caméra pour qu’on ne le filme pas, et qu’il n’a « pas voulu mettre le feu intentionnellement. » M. l’avocat général note que la dénégation porte uniquement sur le caractère volontaire du départ de feu, pas sur le fait qu’il est à l’origine de l’incendie. Les autres interrogatoires, dont l’interrogatoire d’instruction, sont à l’avenant : « mi-figue, mi-raisin » Ma. D. réfute avoir mis le feu volontairement.

L’avocat général cite ensuite les témoignages des fonctionnaires de police, visant à « profiler » Ma. D. Les policiers attestent du fait que Ma.D. était dans le gymnase, dans un petit groupe isolé, avec trois autres prévenus (qui auraient « incité à l’émeute »), et dans le coin d’où un feu est parti. Ils affirment également que Ma. D. et M.D. étaient proches (Ma.D. « changeait de comportement quand il était avec M.D. », était « un ami de M.D. »). Enfin, les agents « qui les ont côtoyé et qui les ont reçu » parlent de « meneurs de la révolte », de « provocateurs », partageant « un sort, un destin, un combat, une nationalité ».

Ma. D. est décrit par l’avocat général comme un « militant motivé de la révolte dans ce climat d’émeutes », il conclu qu’on l’observe sur tous les fronts et que ses seuls moyens de défense passent par « le déni pur et simple » et des « affirmations visant à atténuer sa responsabilité » contredites par la vidéo.

En conséquence, il sollicite la cour pour confirmer la culpabilité de Ma. D. et la condamnation prononcée en première instance, qui ne paraît ni « critiquable », ni « déraisonnable », compte tenu de la « gravité des faits ».

A.D.

En première instance, A.D. a été condamné à trente mois d’emprisonnement dont six avec sursis. Avant les faits, son casier judiciaire était vierge.

Les vidéos montrent A.D., participant à la marche de commémoration au deuxième rang, aux cotés de Ma.D. Et d’autres éléments qui « objectivisent sa participation aux faits reprochés ». Il accompagne E.M., lors de l’incendie d’un matelas, offrant « au moins une complicité intellectuelle », va et vient près des matelas, puis suit E.M dans la chambre d’où partira le feu, et y apporte un matelas (« excellent carburant ») et des linges (« mèche commode pour attiser un feu »).

Les déclarations successives d’A.D. résumées par l’avocat général : il était effectivement ami avec Ma.D., admet avoir noué des liens avec les autres prévenus (du « groupe des maliens »), reconnaît avoir sorti des matelas, mais affirme n’avoir rien vu ni rien fait d’autre pendant la journée du dimanche. Il déclare également ne pas avoir remarqué que M.D. avait du feu dans les mains et conteste avoir jamais déclaré « je vais foutre le feu ». A son affirmation « J’ai plutôt cherché à calmer le jeu » l’avocat général rétorque qu’il tente simplement de « s’attribuer le rôle du pacificateur ». Il ne trouve pas ces déclarations crédibles au vu des vidéos et conclut par : « Moins j’en dis, mieux je me porte » et commente : « la bonne défense est de ne pas contester l’évidence ».

De nombreux policiers dans leurs témoignages disent ne pas se souvenir d’A.D., pour d’autres en revanche il est l’ « un des meneurs », « un agitateur », il « faisait partie de la bande de M.D. qui a posé problème dès son arrivée », et aurait été entendu disant « On ne va pas se laisser faire, on va mettre le feu ».

S’éloignant de considérations pénales, l’avocat général en profite pour commenter : « Bien que ce ne soit pas agréable d’être, non pas « incarcéré », mais « retenu » [9], on ne rentre pas sans passeport dans un pays qui pourrait vous accueillir par ailleurs, si les choses étaient faites régulièrement ».

Il demande la confirmation de la sanction prononcée en première instance.

E.M.

E.M a été condamné en première instance à douze mois d’emprisonnement avec sursis. A son casier judiciaire, une simple condamnation pour tentative de vol, dont l’avocat général admet qu’elle a peu de chose à voir avec l’affaire en cause.

Les vidéos permettent d’identifier E.M. au premier rang de la marche en mémoire de M.Souli. On le voit également accroupi pendant plusieurs secondes sur le tas de matelas, aux pieds d’A.D. (« qui le regarde avec un regard soutenu et attentif. »), et il entre dans la chambre juste après Ma.D. tenant un linge enflammé.

L’avocat présente ensuite les déclarations successives qu’il agrémente de commentaires et qualifie les premières dépositions d’E.M. juste après son arrestation d’« abracadabrantes ». Ainsi, « niant l’évidence », celui-ci affirme avoir « pris du Valium pour dormir » ; « dormir encore lorsque les émeutes ont commencé » ; et ne pas se souvenir avoir vu A.D.

E.M. aurait ensuite admis, au cours de l’instruction, avoir participé au rassemblement puis être retourné se coucher, « en refusant de s’identifier formellement sur les vidéos qui lui étaient montrées ».
Enfin, E.M. aurait fini par reconnaître avoir manifesté son mécontentement en sortant deux matelas mais sans y mettre le feu, le feu étant selon lui déjà parti. Il aurait dit chercher son argent dans le matelas. C’est « extraordinaire », cela ne correspond pas aux bandes vidéos.

L’avocat général ne reprend pas les témoignages des policiers et n’explicite pas la peine qu’il propose. Nous comprendrons plus tard qu’il demande la confirmation de la condamnation de première instance.

M.D.

A partir des vidéos, l’avocat général conclut qu’M.D. a participé à la marche, sorti des matelas dans la cour, s’est retrouvé dans un attroupement et a brandi un hadith pour masquer une caméra. Il trouve étrange que tant de personnes entrent et sortent des différentes chambres : et considère qu’en principe c’est « chacun la sienne ». Il ne souhaite pas se prononcer sur la controverse relative à la lueur rouge [10] (reflet de montre ? Flamme ?).

L’avocat général relève enfin qu’M.D. marche avec Ma.D., entre et sort d’une chambre, dont de la fumée s’échappe bientôt ce qu’il qualifie de « coïncidences plus que troublantes ».

M.D, dans ses déclarations successives et au cours de l’enquête, se serait montré « infernal », « injurieux », selon les mots de l’avocat général. Il cite M.D. : « je n’ai rien à vous dire », « allez vous faire foutre », « je n’ai rien à dire à des dealers et à des alcooliques ».

M.D. déclare avoir été en train de lire un livre religieux au moment des faits, puis avoir été au téléphone avec sa femme. Ce sont à nouveau des « déclarations abracadabrantes ». L’avocat général expose qu’M.D. a déclaré avoir sorti son matelas pour qu’il ne brûle pas, et ne pas avoir maqué la caméra avec son hadith, car on ne peut pas jouer avec un livre religieux. Il nie avoir insulté les policiers, avoir été condamné pour outrage, et avoir participé ou incité à la révolte. Il reconnaît plus tard des va et vient entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment, qu’il explique par la recherche de son chargeur de téléphone.

Des témoignages des policiers cités, il ressort qu’M.D. n’a pas été vu en train de mettre le feu ou commettre de dégradations, criant simplement « liberté », ce que l’avocat général trouve compréhensible pour un homme dans sa situation, et déclarant qu’il allait tout faire brûler. Les policiers le décrivent comme un « meneur ».

Pour l’avocat général, c’est clair : M.D. tente de minimiser sa participation en dépit de l’évidence, il demande pour lui aussi la confirmation de la condamnation de première instance.

M.S.

En première instance, M.S. avait été condamné à trente mois d’emprisonnement ferme.

Le procureur commente les actions de M.S. sur les vidéos : celui-ci arpente les couloirs, va de chambre en chambre, et est rejoint par N.A. Il retire sa chaîne afin, interprète l’avocat général, de ne pas être étranglé au cours des altercations avec les policiers, puis revient « au contact » avec ceux-ci.

Lors de ses déclarations successives au cours de sa garde-à-vue et de l’enquête, M.S. affirme qu’il dormait, ne savait pas qui avait mis le feu, était dans son lit et n’avait rien fait. Il n’aurait pas arraché le combiné du téléphone, ni tenté de briser une vitre. Enfin, il aurait lancé des pierres, mais seulement dans le but de se défendre contre les policiers (l’avocat général relève le paradoxe), et ne serait pas entré dans la chambre où l’incendie a pris.

Au cours de l’interrogatoire de première comparution, en revanche, M.S. reconnait avoir arraché le combiné.

Les témoignages des policiers identifient formellement M.S., comme « l’un des plus virulents ». « Il est l’un de ceux qui m’a agressé », dit l’un d’eux. Les policiers le considèrent comme un retenu « particulièrement agressif ».

A nouveau, l’avocat général demande la confirmation de la sanction prononcée en première instance.

N.A.

En première instance, N.A. a été condamné à trente mois ferme d’emprisonnement.

Selon l’avocat général, les vidéos révèlent que N.A. était « au contact » avec les policiers, adoptant une gestuelle vindicative. Il reçoit un coup de poing d’un policier, qui « réagit », « riposte, je l’imagine, à une agression » [11] de la part de N.A. Plus tard, celui-ci entre dans une chambre avec un linge, et en ressort en avant dernière position, juste avant que le feu ne parte. La vidéo tentant de faire levier sur une porte pour briser le vitrage du « bocal ».

Selon l’avocat général, les déclarations successives de N.A se bornent à un déni de sa participation aux faits : malade, il serait resté dans sa chambre. Lors de son interrogatoire au cours de l’instruction, N.A. ne s’était reconnu sur aucune photo, alors qu’un autre prévenu l’a reconnu et affirme avoir été avec lui au moment des faits.

Sans évoquer les témoignages des policiers ni préciser ses réquisitions pour N.A. (confirmation de la peine), l’avocat général déclare qu’« il a été dans la circonstance de participer à l’incendie » mais reconnaît qu’il ne sait pas s’il y a participé.

En conclusion, l’avocat général parle d’un « dossier très particulier » avec un système de défense « qui ne repose jamais sur l’aveu », uniquement sur des dénégations et des contre-évidences. L’incendie est le fait d’« une bande constituée » ils se connaissaient, ils étaient « des plus violents » et avaient la volonté de « foutre le feu ».

« Quelle mouche les a piqué ce jour-là ? » Pourquoi ce jour-là plus qu’un autre ? Une révolte contre le principe même de la rétention, un dégoût des conditions de vie au CRA, de la nourriture ? « Ce n’était pas un quatre étoiles, mais cela paraissait propre », le ménage était fait, c’était « un lieu tenu », dans lequel les retenus jouissaient d’une « certaine liberté ».

Protestations dans le public : proclamer une « relative liberté », dans le cas de retenus enfermés, indigne. L’avocat général reste coi un moment puis réplique : « Oui, par rapport à la prison, la rétention est très stressante, mal vécue » mais les retenus ont « une certaine liberté d’aller et venir dans l’enceinte du CRA, de téléphoner à l’intérieur, d’avoir des visites à l’intérieur. » Des conditions de retenus certes, mais « c’est la loi ».

« Etait-ce un effet d’entraînement suite à la mort de M. Souli ? », était-ce provoqué par « des cris venant de l’extérieur » ? « Je ne suis pas dans leurs cerveaux mais je constate que le phénomène a pris une ampleur inconsidérée et considérable ». L’avocat général conclut son réquisitoire en réaffirmant la « maîtrise totale des policiers » et demande la confirmation des condamnations pour chacun des appelants.

Plaidoirie de la défense, Maitre Hamot « se place devant son client » avec talent

Maitre Hamot débute sa plaidoirie en évoquant son expérience personnelle du CRA de Vincennes. Venue visiter un retenu, elle se souvient avoir attendu plus d’une heure et demi, dans le froid, avant d’être finalement admise à pénétrer dans le bâtiment pour s’entretenir avec son client. Elle dénonce par ailleurs une fouille au corps, vécue comme particulièrement intrusive, et le refus opposé par les policiers présents ce jour-là, de prendre le linge propre apporté de la part de la famille du retenu. Elle se plaint également du transfert de son client au Mesnil-Amelot sans que la moindre information à ce sujet ne lui ait été communiquée.

Outre les pratiques policières destinées à humilier les retenus et leur entourage, elle dénonce les multiples incohérences d’un centre de rétention pour lequel on aurait même oublié de prévoir des parloirs.

Après cette brève introduction, l’avocate fait deux observations préliminaires. Il s’agit à l’évidence d’apporter un éclairage nouveau sur ses déclarations contradictoires au cours de la phase d’instruction. Elle rappelle tout d’abord que son client a été interpellé plus d’un an après les faits qui lui sont reprochés. De plus, elle explique qu’il a refusé dans un premier temps de se reconnaître sur les photos « car il savait qu’on allait l’accuser de faits qu’il n’avait pas commis ».
Elle adresse ainsi une réponse cinglante aux conclusions de l’avocat général, « ce n’est pas parce qu’un homme ne dit pas tout à fait la vérité qu’il est nécessairement coupable ».

Elle évoque, précisant qu’elle n’était pas présente, les conditions « affligeantes » du procès en première instance et se félicite que l’on puisse qualifier celles de l’appel de « normales », insistant que c’est devant cette cour que se tient pour la première fois le véritable procès du CRA de Vincennes.

Des accusations chimériques de violences aggravées à l’encontre des policiers

« Echauffourées »

Concernant d’abord « l’action où les policiers sont au contact avec plusieurs retenus présents » dans un couloir du CRA 1 à l’occasion de l’interpellation d’un retenu [12].

A 15h25, alors que les policiers viennent de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment, N.A. entre à son tour (mais par un couloir différent), ce que la cour ne saurait lui reprocher. L’avocate souligne qu’il n’est pas possible de faire porter une responsabilité pour co-action alors que N.A. est simplement présent, observateur, au même titre que de nombreux retenus, et qu’il ne se rend coupable d’aucun geste de violence à l’encontre les policiers.

Dans les minutes qui suivent l’arrivée des policiers, N.A. va recevoir un coup de poing de l’un d’entre eux. Selon son avocate il y a deux manières d’analyser cet épisode : soit on s’en tient aux faits bruts, auquel cas on observe qu’il s’est pris un coup de poing ; soit on procède à une interprétation de ces faits, auquel cas on ne peut certainement pas conclure à la co-action. Maître Hamot développe cette seconde hypothèse en insistant sur le fait qu’il s’agit d’actions différentes, individuelles et non collectives, pour lesquelles N.A. ne peut être poursuivi : il est certes présent, au contact du cordon de policiers (bien qu’en arrière) mais on ne peut pas l’accuser de violence. Son seul tort serait d’avoir « voulu voir, comprendre ce qu’il se passait » ce qui ne constitue certainement pas des « faits caractérisés de violence ». L’avocate dénonce la version proposée par l’avocat général [13], qui ne relève plus simplement de l’interprétation mais de l’imagination.

Jets de pierres

Dans la cour extérieure, à l’occasion des jets de pierre contre les grillages en direction des policiers, l’un d’entre eux a été blessé. Il affirme avoir parfaitement identifié la personne responsable de sa blessure, il décrit un individu vêtu d’un tee-shirt blanc, il ne peut donc s’agir de N.A.

Là encore l’avocate réfute la réunion des éléments constitutifs qui permettraient d’établir la culpabilité de son client pour co-action : les retenus jettent les pierres les uns après les autres et N.A. n’est même pas présent dans la cour lorsque la première dalle est brisée.
Par ailleurs, elle évoque une logique « d’action-réaction » dans la chronologie de ces événements : le malaise d’un homme probablement intoxiqué qui s’écroule au sol, le gazage par les policiers d’un groupe de retenus positionnés près des grillages et la réaction instinctive de révolte de celui qui brise la première dalle [14], un homme qu’on ne voit pas agir à d’autres moments.

L’avocate rappelle par ailleurs que son client « jette des cailloux contre des grilles » et qu’après une analyse minutieuse des vidéos on peut remarquer qu’à chacun de ses lancers « aucun policier n’est présent derrière les grilles ». Selon elle, les jets de pierre expriment un mouvement de révolte, qui ne vise pas personnellement les fonctionnaires de police, de toute manière protégés par les grilles, mais est dirigé contre le lieu « qui représente symboliquement le gardien, l’oppression. »

Conclusions

Maître Hamot, oppose un premier argument juridique aux prétentions de l’une des avocates représentant les parties civiles : devant la cour correctionnelle, seuls les appelants peuvent réclamer des dommages et intérêts au civil.

De plus, l’avocate conteste la qualification de policiers « victimes de violences ». Elle évoque des faits qui relèvent davantage de l’accident du travail : l’un des policiers s’est blessé en courant dans les escaliers. Un autre, dont le dommage est évalué à l’aune de ses 3 mois d’ITT, fait état d’une pathologie de surdité suite à une atteinte aux tympans. Renseignements pris auprès du service médical des pompiers, on ne saurait trouver de corrélations entre une baisse de l’ouïe et les fumées d’un incendie...

Enfin, elle met en lumière l’incohérence d’un chef de culpabilité fondé sur des violences par intoxications (liées à l’inhalation de fumées) alors que son client n’a pas été reconnu coupable de l’incendie : « Comment pourrait-on dès lors lui imputer une responsabilité pour violences aggravées contre les fonctionnaires de police pour intoxication ? »

Les actes de dégradations, la co-action : une illusion aux conséquences dangereuses

Concernant l’incendie, « se pose une question de principe » : soit on considère que les derniers entrés dans la chambre sont nécessairement responsables de la mise à feu et donc collectivement coupables, soit on convient qu’il n’est pas possible d’établir une culpabilité individuelle et dès lors qu’aucune condamnation n’est possible.

Maître Hamot poursuit sa démonstration, elle dénonce les tentatives de l’avocat général de faire reconnaître une co-action ou une complicité. En l’absence d’image, il « recréée la séquence », n’hésitant pas à proposer la version d’une action concertée, préparée, certes inventive mais dangereuse. Au contraire, l’avocate insiste sur le fait qu’il s’agit d’une « explosion totale, spontanée ». Pour déclencher un feu, « une cigarette allumée au contact d’un matelas en mousse suffit », il n’est nul besoin de « grands scénarios », de « mèches » : tout va très vite, et même ceux qui sont présents dans la chambre peuvent « ne pas en avoir réellement conscience ».

Concernant l’ « arrachage » de téléphones, là encore, l’avocate réfute l’idée de toute concertation ou préméditation : N.A. tire sur le combiné pour l’arracher, reproduisant simplement, dans une forme d’automatisme, le geste de celui qui l’a précédé.

Conclusions : la justice en question

Maître Hamot souligne d’abord la fragilité des témoignages policiers , élément central du réquisitoire de l’avocat général. Elle relève ainsi des erreurs dans le relevé des horaires mais aussi des contradictions entre les déclarations successives fournies par les policiers au cours de l’instruction. L’avocate précise que suite à leur visionnage des vidéos, certains policiers ont changé leur version des faits et des responsabilités.

L’avocate propose à la cour d’entendre son analyse des faits, elle entend ainsi substituer le terme d’« incidents » à celui d’« émeutes », employé à l’excès par les parties civiles. Cette interprétation est étayée par les visionnages de la fameuse « échauffourée » dont on ne retiendra « pas une bataille rangée mais des événements sporadiques ». Il ressort en effet du visionnage que les retenus ne cherchent pas l’affrontement direct avec les policiers mais « tenteraient plutôt de dégager Monsieur A.K. alors que celui-ci est interpellé ». L’avocate souligne d’ailleurs le calme, évidemment relatif des retenus : « s’ils avaient voulu empêcher les policiers de pénétrer dans le bâtiment cela ne leur aurait pas été difficile » compte tenu du rapport de force numérique (100 retenus contre 20 policiers). Ainsi, elle souligne que les retenus se sont au contraire montrés « plutôt pacifiques ».

De plus, elle évoque le flou entourant les raisons avancées pour l’intervention des policiers dans le CRA. Ils auraient craint une évasion de retenus, car des vitres du côté du parking auraient été cassées. Pourtant, les photos prises à l’extérieur du CRA et fournies par l’une des avocates de la défense révèlent que les dégradations ont eu lieu bien plus tard. L’avocate pointe aussi les nombreux dysfonctionnements, notamment les extincteurs vides dans un contexte aussi explosif, mais aussi l’intervention tardive des pompiers. Dernière contradiction relevée : les avocats des fonctionnaires de police évoquent des policiers débordés, contraints de courir du CRA 1 au CRA 2, une nouvelle preuve que Vincennes et ses 280 lits n’était qu’un seul et même CRA, administré par les mêmes équipes d’intervenants.

Enfin, l’avocate demande de ne pas ignorer le contexte dans lequel interviennent les événements du 22 juin : le décès de Salem Souli la veille et la gestion déplorable de la communication. L’absence de réponses apportées aux questions des retenus, le défaut « de conceptualisation, de verbalisation » des stress et le recours systématique aux gaz lacrymogènes était des facteurs de nature à exacerber les tensions. Quand les retenus se sont groupés à proximité de la chambre de S. Souli afin de comprendre ce qu’il lui arrivait, les policiers ont immédiatement utilisé leurs gazeuses pour les disperser. La mort de Salem Souli va cristalliser l’injustice que chacun de ces hommes ressent, celle de n’être « pas bien nés », de ne pas avoir leur place au sein d’un tel dispositif répressif d’enfermement, mais aussi l’injustice des humiliations quotidiennes qu’ils y subissent (tutoiement, insultes, absence de considération...) On trouve une illustration de ce processus déshumanisant dans cette phrase que les retenus répètent entre eux, « il est mort comme un chien ». Ils ont le sentiment d’être abandonnés, « tenus à la gazeuse » par les policiers dont le rôle se limite à celui d’un rouage dans la machine répressive.

La conclusion de Maitre Hamot s’articule autour de la problématique de l’enfermement des étrangers dans les CRA. Le CRA, lieu de passage où l’on ne trouve ni stabilité, ni sécurité, ni information. Le stress, souvent évoqué à la barre [15], de personnes arrachées à leurs vies, à leurs familles, et qui sont dans l’incompréhension totale d’un système juridique technique, obscur et sourd à leur détresse. Soumis à la menace continue d’une expulsion, ballottés entre les différentes juridictions, assistés par des avocats de permanence qui n’ont pas connaissance de leurs dossiers et jugés par d’autres qui refusent généralement de les laisser s’exprimer à leur propre audience. On ne s’étonnera pas que les dépressions, automutilations, tentatives de suicides y soient récurrentes et contagieuses. L’avocate précise qu’à Vincennes, tous ces problèmes sont exacerbés, notamment pour l’exercice des droits.

N.A. , qui avait 19 ans au moment des faits, « jeune majeur, tout fou, un peu excité », « n’a pas le costard pour porter la responsabilité de Vincennes ». L’avocate évoque le témoignage de M. Werner [16] , qui s’étonne de rencontrer un jeune introverti, abîmé par la vie mais plein d’humour , là où il pensait trouver quelqu’un rendu très dur par ce qu’il avait vécu. Elle rappelle les enjeux de ce procès pour la future régularisation de son client.

Se pose dès lors, dans ce procès, la question de la justice : quelle justice peut accepter de faire endosser à quelques prévenus les conséquences de la faillite d’un système entier – dont ils sont eux-mêmes les victimes ? Maître Hamot dénonce l’opacité totale entourant l’instruction de cette affaire et les questions qui peuvent légitimement se poser pour évaluer les responsabilités de chacun. Quid de l’incendie si l’Etat avait joué son rôle : apporté des soins à Salem Souli, mis des extincteurs fonctionnels à disposition, respecté les normes de construction et d’installation ? L’avocate fait part de son sentiment personnel de révolte et d’injustice, « les prévenus ne peuvent pas porter seuls la responsabilité ».