Migration : les murs invisibles de l’Union Européenne

Publié le 22 décembre 2011 par alterechos (Belgique)

« Externalisation » des contrôles. Ce terme ne vous dit peut-être rien mais, depuis quelques années maintenant, il est entré dans le dictionnaire des défenseurs des droits de l’homme, demandeurs d’asile et réfugiés. Ce qu’il signifie ? Repousser à l’extérieur des frontières européennes la charge de contrôler la migration. Ainsi, l’UE tend à ériger des murs bien au-delà de l’espace Shengen.

C’est ce qui ressort principalement des « ingrédients de la politique européenne d’asile et d’immigration », présentés au terme d’une année de recherche par Migreurope. Le jeune réseaux européen (regroupant le Ciré, le CNCD-11.11.11 et la LDH en Belgique) a en effet mis en lumière, comme le veut son agenda, les politiques mises en place par l’union Européenne afin freiner l’immigration. Il s’avère que « l’externalisation » y occupe, de manière croissante, une place prépondérante. « L’enfermement en est le corolaire et fait partie intégrante de la politique migratoire de l’UE », souligne Migreurope. Le réseau déplore le manque de transparence qui existe dans les centres d’enfermement et y exige un droit de regard. « On constate une multiplication des centres, une banalisation et une déshumanisation de la privation de liberté », souligne à ce cet égard Evelyne Van Meesche de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). « Pour le moment, ce dernier est soumis à un pouvoir discrétionnaire qui maintient le flou », regrette-t-elle.

« L’Europe des camps »

Le constat, bien qu’attendu, n’en est pas moins interpellant. Un vaste paysage de ce qui se fait en matière d’immigration a été dressé par Migreurope. Le réseau tenait à souligner la politique d’enfermement de rigueur dans les États Membres et en dehors de nos frontière. L’exemple de la Turquie en est révélateur.

Alors que l’UE reste majoritairement réticente à intégrer la Turquie dans son giron, elle utilise cette dernière comme « zone tampon » entre son territoire et l’Asie. Pion primordial sur l’échiquier géostratégique mondial, la Turquie constitue un premier rempart aux velléités migratoires venant du Moyen et Proche Orient et d’Afrique. L’Europe y investit donc massivement. « 80% du financement de la mise à distance et de l’expulsion sont pris en charge par l’UE », explique Mathilde Biézat, tirant les conclusions de cinq mois passés à la frontière Turco-iranienne, cas d’école en la matière.

Sans nous étaler sur le cas de la Turquie, soulignons que « plusieurs centres verront le jour ; des centres d’accueil et de rétention sont en construction. Ils constitueront une étape de plus dans le processus d’enfermement », précise-t-elle. « La Turquie s’intègre par là dans l’Europe des camps », constate, amère, la chercheuse. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres…

Frontex : voyage en eau troubles

Le rôle de l’agence Frontex, surveillant les frontières maritimes terrestres et aériennes, est controversé, relève Migreurope. « Depuis 1999, l’UE met la priorité sur les contrôles de ses frontières », explique Marie Charles (LDH). Une volonté qui s’est exprimée par la mise en place de l’agence Frontex. Depuis sa création en 2004, tant le budget alloué (de 6,3 millions d’euros en 2005 à 130 millions en 2011) que ses responsabilités n’ont cessé de croitre pour devenir, aujourd’hui, un acteur incontournable de la lutte contre l’immigration clandestine.
L’année 2010 marque à cet égard un tournant majeur. : une modification de règlement confère à Frontex un mandat élargit.

L’agence est désormais habilitée à passer des accords, sans qu’il n’y ai de traités internationaux, avec des pays tiers afin de lutter contre l’immigration clandestine. L’objectif est de retenir, à la source, les migrants. « Derrières les chiffres dont se targue Frontex se cache une réalité peu glorieuse en terme de viol des droits fondamentaux », dénonce Migreurope, qui cite, de manière non-exhaustive, le non respect du droit à l’asile et à celui de quitter son pays, le viol du principe de non-discrimination, de l’interdiction de traitement inhumains et dégradants et celui du principe de refoulement. Sans oublier d’insister lourdement sur le nombre élevé de morts en mer, alors que le droit international garantit le principe de solidarité selon lequel tout marin se doit de porter secours à une personne en danger.
Dans les nouvelles compétences de Frontex s’illustre une tension palpable entre deux tendances : celle de la responsabilité nationale ou supranationale, donc d’un corps européen. Qui est responsable des contrôles ? Le simple fait de poser la question permet aux acteurs de se dédouaner de toute responsabilité. « Frontex jouit d’une large autonomie mais, en même temps, on ne peut engager sa responsabilité lorsqu’elle contrevient aux droits fondamentaux. Cette position est schizophrénique », assène M. Charles.

Sous traitance des contrôle : la privatisation de l’expulsion
Le modèle dominant dans la société occidentale est celui de la performance économique. Le secteur de la migration n’y échappe pas. Dans les villes portuaires, un mécanisme de privatisation des compétences règne et relaie au second plan les autorité publiques douanières et frontalières. En effet, la prise en charge d’un clandestin retrouvé à bord d’une embarcation est assumée par le capitaine du bateau, d’abord et par sa… police d’assurance, ensuite.
Les raisons d’une telle méthode sont à trouver dans la déresponsabilisation des autorités publiques vis-à-vis de l’immigration illégale. La découverte d’un migrant fige totalement l’activité d’un port entier, ce qui constitue un manque à gagner. Afin d’éviter ces « désagréments », des systèmes de sécurisation beaucoup plus drastiques ont été mis en place, tant dans les ports que sur les bateaux mêmes. Par ailleurs, si, malgré ces freins, un migrant parvient à monter à bord d’un navire, c’est bien l’armateur qui devra endosser la responsabilité de ce dernier et ce compris devant la justice, les peines pouvant aller de l’amande (1000 à 5000 euros) à la peine de prison (jusqu’à 3 mois).

Devant les risques encourus par les marins dans l’exercice de leur fonction, des assurances ont flairé le gros poisson (sans mauvais jeu de mots…). Désormais, les « P&I » assurent les marins (90% des flottes actuellement, selon une estimation) au cas où des migrants seraient retrouvés à bord.

« Au-delà de cette « marchandisation » de l’immigration, on assiste à un transfert de compétence vers ces pouvoirs privés puisque ces derniers », explique Céline Vanderstappen (CNCD-11.11.11) « prennent en charge le clandestin dès son interrogatoire jusqu’à son expulsion ».

Ici encore, se pose le problème du droit du migrant à l’accès à ses droits fondamentaux et au droit de demander l’asile « alors qu’ils sont souvent refoulés avant même d’avoir pu exposer leur cas… » Le CNCD ne manquera pas de souligner, à toutes fins utiles, que l’accord du gouvernement papillon prévoit le renforcement de la sécurisation du port d’Anvers.

Des perspectives peu optimistes

Au lendemain du Printemps arabe, comment peut-on envisager l’avenir des migrations du sud vers le nord ? « L’Union européenne a dores et déjà réactivé les accords signés avec Kadhafi et Ben Ali sur les centres de rétention ainsi que sur la réadmission », déplore Migreurope. Soulignons également que l’UE ne rechigne pas à passer des accords avec des pays n’ayant pas ratifié la Convention de Genève et peu respectueux des droits fondamentaux, dont la Libye fait partie.
Menant des actions de sensibilisation et d’information, Migreurope organisera diverses campagnes durant l’année 2012.

Pour plus d’informations sur le réseaux et ses activités

www.migreurop.org

Pour le rapport complet 2010-2011

www.migreurop.org/article2048.html

Valentine Van Vyve