Open Access 2012 : Camps d’étrangers ? N’entrez pas, violation des droits !

« Camps d’étrangers en Europe : Ouvrez les portes ! On a le droit de savoir ! »

Le 14 juin 2012

Devenu un outil politique incontournable de la gestion de l’immigration et de l’asile, la pratique de l’enfermement des migrants se développe de façon inquiétante. Ce n’est pas seulement vrai en Europe. L’actualité récente en Grèce, au Canada et en Israël (voir analyse ci-jointe) témoigne de l’évolution déraisonnable du recours à la détention par les gouvernements. La mise à l’écart des populations jugées indésirables qui en résulte reste largement cachée à la société civile et aux médias. Pourtant, l’accès à l’information est un droit inaliénable des citoyens européens [1].

Dans le cadre de la campagne inter-associative « Open Access : Ouvrez les portes ! On a le droit de savoir ! », les réseaux Migreurop et Alternatives Européennes ont mené une campagne de visites des lieux d’enfermement des étrangers en Europe et au-delà, du 26 mars au 26 avril 2012. Il s’agissait de tester les possibilités d’accès des organisations et des médias, mais également de récolter des informations relatives au fonctionnement des centres, et à l’exercice des droits des personnes détenues. Des parlementaires se sont joints à l’initiative.

Seize lieux d’enfermement ont pu être visités en Bulgarie, Croatie, France, Italie, Mauritanie, Roumanie, Serbie. Aucune visite n’a été autorisée en Belgique, Espagne et Pologne. La campagne a mis en évidence la volonté des autorités d’encadrer, voire d’empêcher ce regard extérieur qui inquiète. En témoignent les motifs de refus d’accès invoqués, le plus souvent douteux et dérisoires.

Après les visites organisées en 2009 et 2011 par le réseau Migreurop, on constate que la situation dans les camps d’étrangers est globalement inchangée : des conditions de détention qui font penser au système carcéral, et des atteintes aux droits fondamentaux (accès aux soins, demandes d’asile, assistance juridique, contrôle de la privation de liberté par un juge). Les violences policières sont fréquemment rapportées. L’enfermement, qui peut durer plusieurs mois, met de fait les migrants dans une situation de détresse psychologique importante. Les sentiments de désorientation, de désespoir et de colère sont palpables.

La campagne de visites qui vient de s’achever a démontré qu’au-delà des conditions de détention, c’est l’existence des camps où sont enfermés des milliers de migrants qui représente par elle-même une atteinte inacceptable aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine : seule leur disparition pourra y mettre un terme. Mais aussi longtemps qu’ils existent, il faut revendiquer un droit d’accès sans restriction des représentants de la société civile et des médias à ces lieux. Mettre fin à l’opacité qui les entoure est la seule façon de s’assurer que les droits fondamentaux n’y sont pas quotidiennement bafoués, que les garanties de procédures qui doivent normalement entourer toute privation de liberté ne sont pas systématiquement violées.

La mobilisation des parlementaires, médias et militants associatifs doit se poursuivre. La campagne « Open Access » est lancée, d’autres actions et visites seront organisées dans les prochains mois.

Vous trouverez ci-joint un document d’analyse des principaux constats de la campagne, les comptes-rendus par pays, un tableau récapitulatif des demandes de visites et réponses (par pays), ainsi qu’une revue de presse.

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Laure Blondel - 01 43 67 27 52

Voir communiqués de presse Open Access (www.openaccessnow.eu)

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« Camps d’étrangers en Europe : Ouvrez les portes ! On a le droit de savoir ! » Campagne de visites 2012 : Camps d’étrangers ? N’entrez pas, violation des droits !

Une étape de la vie des migrants est trop souvent méconnue : celle du passage par les centres d’enfermement au seul motif d’avoir enfreint la législation sur les étrangers. Dans ces camps qui prolifèrent partout en Europe et à ses frontières [2], les personnes ne sont pas seulement privées de leur liberté de mouvement mais aussi de leur dignité, de l’accès à des soins et à des conseils juridiques, ou encore du droit de vivre avec leur famille. Deux textes européens évoquent le recours à l’internement administratif des personnes migrantes : la directive relative aux normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile [3] – dont le projet de refonte actuellement en débat mentionne la possibilité de recourir à la détention comme mode de gestion des personnes en demande de protection internationale [4] – et la « directive retour » [5] (« directive de la honte »), qui vise à systématiser l’enfermement des migrants en instance d’éloignement pour séjour irrégulier.

L’enfermement des étrangers est devenu un des instruments privilégiés des politiques migratoires européennes permettant de mettre à l’écart des populations jugées indésirables. Mais cette réalité reste cachée. Or les citoyens devraient pouvoir connaître les conséquences des politiques mises en place en leur nom : l’accès à l’information ne fait-il pas partie des droits garantis par la Charte européenne des droits fondamentaux ? [6] . Cette opacité est également dangereuse parce qu’elle est propice aux dérives et aux atteintes aux droits de l’homme en leur assurant l’impunité
 [7].

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la campagne inter-associative « Open Access : Ouvrez les portes ! On a le droit de savoir ! », les réseaux Migreurop et Alternatives Européennes ont lancé une campagne de visites des lieux d’enfermement des étrangers en Europe et au-delà –, campagne également soutenue par Reporters Sans Frontières –, qui s’est déroulée du 26 mars au 26 avril 2012. Il s’agissait de tester les possibilités d’accès à ces lieux des membres de la société civile et des médias, mais également de rassembler des informations relatives au fonctionnement des centres et à la façon dont les droits peuvent s’y exercer.

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Un accès la plupart du temps entravé

Dans de nombreux pays européens, l’accès des journalistes et des membres de la société civile en mesure d’apporter une information indépendante sur les camps reste très encadré. Seuls les parlementaires nationaux et européens disposent d’un libre accès à ces lieux.

Ce regard extérieur préoccupe les gouvernements, comme en témoignent les exemples français et italien. Prétendant transposer l’article 16 de la “directive retour” qui prévoit l’accès des associations aux centres de rétention administrative, le gouvernement français a encadré strictement leur « droit de visite » par un décret du 8 juillet 2011. Déféré au juge par les associations, le texte a été presque intégralement validé par le Conseil d’État [8]. En Italie, sous prétexte d’arrivées massives de migrants d’Afrique du Nord, le ministre de l’Intérieur a, par une circulaire du 1er avril 2011, refusé le droit d’accès aux centres de rétention à plusieurs organisations jusqu’alors autorisées à y pénétrer, ainsi qu’aux médias. Le 13 décembre 2011, un nouveau texte a rétabli l’ancien système, tout en laissant aux autorités compétentes des possibilités de refus pour différents motifs et en subordonnant les visites des journalistes à des exigences supplémentaires.

Dans le cadre de la campagne Open Access, des visites étaient prévues en Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, France, Italie, Mauritanie, Pologne, Roumanie, Serbie. Les journalistes, associations et collectifs de citoyens ont donc déposé, en leur nom, des demandes de visite. Dans certains pays – comme l’Espagne, la France, la Bulgarie ou l’Italie –, compte tenu du contexte local, les militants associatifs et certains journalistes ont tenté d’entrer en accompagnant des parlementaires tandis que d’autres journalistes ont fait des demandes autonomes.

Des refus essuyés comme des visites effectuées, il ressort une volonté évidente d’entraver les possibilités de regard extérieur. Les motifs invoqués varient, beaucoup ont un fondement douteux, mais tous convergent bien vers le même objectif : maintenir l’opacité et l’invisibilité de ces lieux.

En France, plusieurs demandes sont restées sans suite, et à certains journalistes on a opposé comme motif de refus la « période électorale » ou le « devoir de réserve ». Sur les neuf centres visés par la campagne, seuls les six lieux où des parlementaires se sont rendus ont pu être visités ; mais aucun journaliste ou militant associatif n’a pu entrer (en dehors de ceux appartenant aux associations présentes dans les centres sur la base d’une convention avec l’Etat). En Bulgarie, seul un centre sur les quatre prévus a pu être visité, et uniquement par un parlementaire. En Italie, on a invoqué le « risque de révolte » engendré par des visites, la concordance de la date prévue avec une fête nationale ou encore la « réalisation de travaux dans le centre » pour refuser les demandes des journalistes, mais souvent les refus n’étaient même pas motivés. Finalement, trois centres ont pu être visités par des parlementaires, élus locaux et militants associatifs. En Roumanie, c’est la prétendue « violence des détenus » qui a d’abord été avancée pour empêcher les journalistes d’entrer. Puis, l’affaire ayant fait grand bruit, une demande écrite a finalement permis la visite du camp d’Arad. En Pologne, les autorités compétentes n’ont pas daigné répondre.

Les autorités nationales ont parfois ouvertement revendiqué leur rôle de gardiennes exclusives de ces lieux et leur droit de les garder à l’abri des regards. Ainsi, en Belgique, l’accès au centre de Brugge a été refusé au motif qu’il existerait suffisamment d’organes de contrôle et qu’il ne fallait pas imposer une présence extérieure aux détenus. Parallèlement, les autorités ont invité certains journalistes préalablement choisis à une visite guidée du nouveau centre dit « Caricole » inauguré le 25 avril, encore complètement vide. En Espagne, malgré plusieurs relances, la seule réponse a été le silence ; mais là aussi, pour masquer cette stratégie de dissimulation, le ministère de l’Intérieur a organisé une conférence de presse au centre de rétention de Barcelone au cours de laquelle les journalistes présents ont seulement pu fixer des images des installations sans pouvoir s’entretenir avec les détenus.

Dans certains cas, l’accès de membres de la société civile a été possible. En Serbie, si un lieu sur trois seulement a pu être visité et si l’accès a été refusé aux journalistes, les militants associatifs ont pu entrer seuls à la prison de Subotica – où ils n’ont cependant eu accès qu’aux locaux administratifs. En Mauritanie, les représentants associatifs ont demandé à entrer dans les centres de Nouakchott et Nouadhibou. S’il leur a été possible de visiter celui de Nouakchott, le contexte politique mauritanien a rendu difficile le recueil d’informations. Enfin, en Croatie, une association et une journaliste ont obtenu dans la journée même l’autorisation sollicitée.

Des informations difficiles à obtenir

En général, les visiteurs ont fait précéder leur démarche d’une demande de communication des données statistiques relatives au nombre de personnes détenues (notamment celui des demandeurs d’asile), au nombre d’expulsions, de recours déposés [9] etc ). Un document officiel, plus au moins précis, leur a été remis dans de rares cas, notamment en France (trois centres), Bulgarie, Croatie et Serbie. Les différentes délégations ont pu observer et obtenir des renseignements sur les conditions de détention, l’accès aux droits et les conséquences morales et psychologiques de l’enfermement. Il en ressort que la situation est mauvaise dans les camps et les visiteurs ont pu mettre en évidence qu’au-delà des conditions d’enfermement, ce sont les cadres législatifs et l’enfermement en soi qui posent problème.

Des conditions d’accueil déplorables

Les conditions matérielles de détention varient d’un centre à l’autre et d’un pays à l’autre. En Italie, les conditions ont été décrites comme indignes. Au centre de Bologne, les migrants enfermés pendant plusieurs mois doivent dormir sur des matelas posés à même le béton et n’ont pas accès à l’eau chaude ; à Trapani, ils doivent manger de la nourriture dans des sacs en plastiques, entassés contre les grilles, et à l’aéroport de Fiumicino, ce sont les bancs et les toilettes qui servent d’espace de détention la journée et une salle sans fenêtre la nuit.

Si certains camps sont caractérisés par des conditions inhumaines de détention, ailleurs on constate la carcéralisation de l’enfermement. Ainsi, en Roumanie, les migrants, qui peuvent être détenus jusqu’à 18 mois, sans douche ni chauffage, sont confinés dans leurs cellules 22 heures par jour et dénoncent des placements arbitraires à l’isolement. En Bulgarie, les locaux sont vétustes, avec peu de lumière et des barreaux aux fenêtres. En Serbie, la prison de Subotica sert également de lieu d’enfermement des migrants, parfait exemple de l’amalgame entre étrangers et criminels. Les migrants, qui n’ont droit à une douche que deux fois par semaine, passent toute la journée dans leur cellule et ne peuvent s’aérer dans la cour extérieure que trente minutes à une heure par jour.

Les différentes délégations ont pu constater que les droits des demandeurs d’asile étaient souvent bafoués. A l’aéroport de Fiumicino (Italie), l’accès au bureau des demandes d’asile dépend du bon vouloir de la police aux frontières. La situation est pire à la prison de Subotica, où le service juridique présent est dans l’incapacité de prendre en charge ces demandes, faute de moyens.

L’accès à une assistance juridique n’est pas garanti. Alors qu’en France par exemple, une assistance gratuite est proposée, d’autres législations nationales n’ont pas mis en place de dispositif garantissant ce droit pourtant fondamental. C’est le cas de l’Italie ou de la Roumanie notamment. En Croatie, bien qu’existant en théorie, cet accès est largement insuffisant, faute de personnel approprié. En Bulgarie, l’accès à des juristes n’est possible qu’une fois par mois.
De même, le contrôle d’un juge sur la mesure de privation de liberté n’est pas garanti, il est même parfois totalement absent du processus, comme en Croatie ou Bulgarie.

Toutes les délégations ont constaté l’insuffisance de l’accès aux soins. Quelques exemples sont particulièrement révélateurs de cette carence. Au centre de rétention de Strasbourg (France), le personnel a été divisé de moitié en début d’année. A Trapani (Italie), aucun équipement médical d’urgence n’est disponible sur place. En Bulgarie, une infirmière se rend au centre une fois par semaine sans qu’un local adapté ne soit mis à sa disposition. A Arad (Roumanie), les migrants ont témoigné du manque d’assistance médicale spécialisée et de médicaments et en Serbie, c’est le personnel médical qui a indiqué ne pas avoir les moyens de fournir l’assistance médicale nécessaire.

Si des mineurs n’étaient présents que dans certains des lieux visités, la pratique habituelle du recours à la détention de mineurs a pu être vérifiée dans l’ensemble des pays. En Serbie, il n’existe cependant aucun dispositif permettant la détermination de l’âge. Parfois, mais pas toujours, des espaces spécifiques pour l’accueil des mineurs sont prévus. C’est le cas depuis 2011 dans la zone d’attente de Roissy (France) ; en Croatie, un espace de ce type est actuellement en construction.

Enfin, il ressort des entretiens que les visiteurs ont pu avoir avec des migrants que l’enfermement a un impact direct sur leur état psychologique, les plaçant dans une situation de détresse et de vulnérabilité. L’absence de suivi et d’accompagnement psychologique est la règle. Les sentiments de désorientation, de désespoir et de colère sont palpables. De plus, il n’est pas rare que les migrants soient exposés à des violences policières. Loin d’être un cas isolé, l’exemple du camp d’Arad est particulièrement éloquent [10]
.

La privation de liberté, les conditions matérielles déplorables, les entraves à l’exercice des droits engendrent des tensions et amènent certains migrants à s’automutiler, à tenter de se suicider, à entamer des grèves de la faim ou encore à se révolter.

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Partout, une banalisation croissante de l’enfermement des migrants

Alors que l’Union européenne et les États membre ne cessent d’affirmer leur attachement aux droits de l’homme, l’enfermement des migrants, conséquence directe des politiques migratoires européennes, est la source de nombreuses violations de droits pourtant garantis par les textes [11]. Les gouvernements s’appliquent à soustraire les lieux d’enfermement aux regards et à les rendre invisibles et impénétrables afin de masquer les effets néfastes et répressifs de la détention des migrants. L’objectif officiel de « contrôle des flux migratoires » cache une réalité plus sombre, une politique qui stigmatise et criminalise les migrants en les transformant en coupables qu’il faut punir pour avoir voulu circuler. Non seulement la légitimité des lieux d’enfermement est contestable, mais les effets dissuasifs escomptés se révèlent illusoires. Pourtant, l’enfermement des étrangers se banalise et se développe, dans un processus de démesure : bien que le pays soit secoué par la plus grande crise économique de son histoire, les autorités grecques ont annoncé, au début de l’année, la création de trente centres de détention pour migrants d’une capacité de mille places chacun.

Cette tendance n’est pas réservée à l’Europe. Au Canada, une loi en discussion permettrait d’enfermer des migrants dès l’âge de seize ans pendant un an sans aucun contrôle juridictionnel de la privation de liberté, y compris s’ils sont demandeurs d’asile. En Israël, pour dissuader l’arrivée de migrants africains entrant par la frontière égyptienne, le gouvernement a décidé l’agrandissement, actuellement en cours, de deux prisons dans le Negev pour atteindre une capacité de 12 000 places.

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L’existence des camps où sont enfermés des milliers de migrants représente par elle-même une atteinte inacceptable aux droits les plus fondamentaux de la personne humaine : seule leur disparition pourra y mettre un terme. Mais aussi longtemps qu’ils existent, il faut revendiquer un droit d’accès sans restriction des représentants de la société civile et des médias à ces lieux. Mettre fin à l’opacité qui les entoure est la seule façon de s’assurer que les droits fondamentaux n’y sont pas quotidiennement bafoués, que les garanties de procédures qui doivent normalement entourer toute privation de liberté ne sont pas systématiquement violées.