Tragédie de Lampedusa : l’égoïsme des États et les faiblesses de l’Europe

Le Point.fr, 04/10/2013

La perspective d’une politique migratoire européenne est aussi souhaitable qu’illusoire. Car, en la matière, règne le chacun pour soi.

L’Italie n’est pas le pays européen qui reçoit le plus de clandestins ni de demandeurs d’asile. Avec 17 500 demandes au dernier comptage contre 70 000 pour l’Allemagne et 60 000 pour la France, elle arrive seulement en septième position. Mais les tragédies en Sicile placent le pays sous l’oeil des médias. Selon le réseau Migreurop, en 20 ans, au moins 6 000 migrants sont morts en tentant la traversée entre l’Afrique et l’Italie. "J’espère que l’Union européenne se rendra compte que cette tragédie est une offense à l’Europe tout entière", a lancé à Lampedusa le vice-président du Conseil italien Angelino Alfano, après le récent naufrage d’une embarcation à Lampedusa faisant au moins une centaine de morts. Mais depuis des années, l’Europe fait la sourde oreille.

À Bruxelles, la commissaire européenne à l’Immigration plaide depuis longtemps pour "une politique migratoire commune". "Il faut ouvrir de nouvelles voies pour l’immigration légale", répète Cecilia Malmström, convaincue qu’ouvrir cette porte dissuaderait les migrants de prendre tous les risques pour rejoindre la riche Europe. En signant le traité d’Amsterdam en 1997, les États membres, dont la France, ont bien accepté un transfert - limité - de pouvoirs au niveau de l’UE.

Des États qui se disputent entre eux

Mais dans les faits, ils rechignent et refusent l’idée d’une communautarisation de la politique d’immigration. Sauf s’agissant du renvoi des migrants et du contrôle des flux dans les pays d’origine : lorsqu’elle accorde de l’aide financière au pays du sud de la Méditerranée, l’UE s’assure de négocier en contrepartie des accords de réadmission. Parallèlement, l’UE a envoyé en Libye des experts pour former les gardes-frontières locaux. La mission devrait englober une centaine d’hommes qui seront déployés "progressivement, en tenant compte de la situation politique et sécuritaire." Mais globalement, "en matière d’immigration légale, nos compétences c’est peanuts", lâche-t-on à la Commission.

Pire : les États se disputent entre eux ! En 2011, contrairement aux accords européens, l’Italie avait facilité le transit vers la France de milliers de Tunisiens arrivés sur ses côtes, qui fuyaient en masse l’insécurité et les incertitudes dans leur pays en révolution, déclenchant une crise entre Paris, Rome et Bruxelles. C’est que la règle européenne mise en place en 2003 instaure un principe selon lequel c’est au premier pays dans lequel arrive le migrant de gérer sa demande d’asile et d’hébergement. Ce système, dénoncé par Rome, Athènes ou La Vallette, ne prévoit aucun mécanisme de répartition et pèse lourd, notamment pour le sud de l’Europe, confronté à un afflux de demandeurs d’asile. Du coup, la tentation est grande pour les autorités débordées "d’oublier de fermer" une porte d’un centre de rétention. Ce qui permet aux clandestins d’aller tenter leur chance dans la Babylone européenne.

Aide criminalisée

Succombant au chacun-pour-soi, les États membres de l’Union européenne se contentent donc de mettre des rustines. Les vingt-huit ont ainsi créé l’agence Frontex pour mettre en commun des moyens de surveillance de la mer. Des pays comme la Finlande - ou même la Suisse, membre de Schengen - envoient des gardes-frontière en Méditerranée et participent au budget de l’agence : 85 millions d’euros en 2013, contre 118 millions en 2011. "Les demandes de recours à Frontex augmentent, mais pas ses moyens", déplore le porte-parole de la Commission, Michèle Cercone, qui rappelle tout de même : "Frontex a permis de récupérer 16 000 migrants." Fin 2013, l’UE mettra aussi en place le système d’échange de données satellites Eurosur pour repérer les bateaux susceptibles d’embarquer des clandestins. Pour les contrôler, mais aussi, en cas de besoin, venir plus vite à leur secours.

Chaque État européen porte donc sa part de responsabilité dans les drames de la Méditerranée. Certains d’entre eux - dont l’Italie - criminalisent même l’aide ou le secours aux boat-people en détresse. "Les pêcheurs et la marine marchande ont peur que leurs bateaux soient mis sous séquestre, ou d’avoir des amendes pour ’aide à l’immigration clandestine’", rappelle le président du réseau Migreurop Olivier Clochard.

De notre correspondant à Bruxelles, Alain Franco

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