Lampedusa : "La politique répressive conduit à de tels drames"

ARTE Journal, 07/10/2013

Suite au drame de Lampedusa, Damien Wanner a interrogé Olivier Clochard, qui préside le réseau d’ONG Migreurop.

ARTE Journal : Quelle est la situation de l’immigration clandestine en Méditerranée aujourd’hui ?
Olivier Clochard : Ces derniers temps, depuis notamment 2011 et la crise libyenne, malgré les bonnes intentions des gouvernements ou de l’agence Frontex (Agence européenne de gestion des frontières) qui disent mettre en place des opérations visant à surveiller mais aussi à aider à éviter ce genre de drame, nous voyons que les politiques de l’Union européenne ne fonctionnent pas. Cette politique restrictive, répressive qui est en place depuis maintenant bientôt une quinzaine d’années conduit à de tels drames. Nous n’avons pourtant eu de cesse d’alerter les gouvernements européens pour mentionner ce type de situations.

AJ : Pourtant des mesures sont prises après chaque grande catastrophe de ce type...

Olivier Clochard : Avec le recul, il n’y a eu aucun effet. En 2011 lors de la crise libyenne de nombreux migrants quittaient ce pays pour chercher de meilleures conditions d’existence. Nous nous avons fait un rapport au printemps dernier justement sur la situation des migrants dans le Libye d’après Kadhafi qui montre que leur situation est devenue encore bien plus difficile après la révolution. Les candidats au départ sont toujours très nombreux. La situation de crise perdure comme nous sommes dans un processus de transition démocratique compliqué dans beaucoup de pays nord-africains comme la Libye mais aussi l’Egypte ou la Tunisie. Cela conduit les gens à rechercher de meilleures conditions de vie et rien n’est fait de la part de l’Union Européenne. Il n’y pas de discours politique fort interdisant la criminalisation de l’aide aux boat people.

AJ : Qui sont ces migrants qui tentent leur chance quotidiennement ?
Olivier Clochard : Hier c’étaient des gens sans doute originaires de l’Érythrée dans la corne de l’Afrique mais en ce moment nous avons aussi des Syriens qui tentent de rentrer sur le territoire de l’Union Européenne. D’un côté on a la France qui est prête à entrer en guerre en Syrie en engageant des moyens sans doute très importants mais concernant les Syriens rien n’est fait. Aujourd’hui pour vous donner un simple chiffre il n’y a eu que 700 demandes de réfugiés syriens enregistrées en France alors qu’on sait qu’ils sont plusieurs millions dans les pays voisins, en Turquie en particulier. Cela montre un peu l’attitude hypocrite des Etats européens capables de faire des coalitions pour la mise en place d’opérations de surveillance etc... mais pour le reste c’est surtout un grand jeu de la patate chaude où on laisse l’Italie se débrouiller comme elle peut avec "ses" migrants.

AJ : Qu’attendez-vous de l’Union Européenne sur ce sujet ?
Olivier Clochard : Au niveau de l’Europe nous attendons une déclaration forte sur l’application du droit maritime. Aujourd’hui il n’est pas appliqué, parfois bafoué et c’est ce qui conduit à ce que des gens ne soient pas assistés lorsqu’ils sont en danger. Il y a une criminalisation de cette assistance. Nous-mêmes avons rédigé un communiqué sur notre site informant du cas d’un navire de la marine marchande qui avait sauvé des boat people et les autorités italiennes leur ont refusé d’accoster sous prétexte que le sauvetage aurait eu lieu dans une zone dont la Libye avait la responsabilité. En conséquence les migrants ont été renvoyés vers leur port de départ à savoir Tripoli. On a eu des exemples aussi par le passé de pêcheurs dont le capitaine a fini en prison et dont le bateau a été mis sous séquestre pour avoir porté assistance à des migrants. De telles attitudes n’invitent pas à les acteurs privés à intervenir lors de situations de détresse.

AJ : La ministre italienne de l’Intégration demande la création d’un corridor humanitaire, qu’en pensez vous ?
Olivier Clochard : "C’est se voiler la face parce que les routes sont très diversifiées. Il y a des gens qui arrivent par la mer Égée, d’autres par le détroit de Gibraltar, même si c’est en nombre moins important qu’à Lampedusa. Un "corridor" entre la Libye, la Tunisie et l’Italie ? J’avoue que j’ai un peu du mal à comprendre l’efficacité d’un tel dispositif. L’idée ce serait plutôt d’aider des pays comme la Tunisie, en transition démocratique et en grande difficulté économique. Rappelons que la Tunisie a accueilli un très grand nombre de réfugiés au moment de la crise libyenne et ce n’est pas fini. Il faut vraiment faire en sorte qu’il y ait une véritable collaboration sur ces questions entre les différents pays méditerranéens et européens."

Pour voir l’article en ligne :
http://www.arte.tv/fr/lampedusa-la-politique-repressive-conduit-a-de-tels-drames/7671972,CmC=7670884.html