Le drame de Lampedusa décrédibilise Frontex et Eurosur

EurActiv.fr, 09/10/2013

La commissaire aux affaires intérieures a appelé au déploiement de forces supplémentaires, mais les ONG prient l’Union européenne d’interrompre l’approche sécuritaire.
L’agence Frontex doit être renforcée par un nouveau dispositif du nom d’Eurosur en fin d’année.
Depuis la mort de plus de 200 migrants la semaine dernière au large de l’île de Lampedusa, les dispositifs européens de gestion des frontières sont sur le grill.

Le président de la Commission, José Manuel Barroso, se rend mercredi à Lampedusa.

Hasard du calendrier, le Parlement européen doit se pencher jeudi sur le texte « Eurosur », un nouveau dispositif destiné à gérer la question des frontières.

Cherchant une réponse à la crise, la commissaire aux affaires intérieures, Cécilia Malström, a proposé mardi « le déploiement d’une force spéciale de recherche et de sauvetage en Méditerranée, gérée par l’agence Frontex, entre Chypre et l’Espagne », tout en insistant sur le fait qu’à partir de décembre l’Union européenne bénéficierait de la technologie et du partage d’information du système Eurosur.

Eurosur remis en cause

Mais les bénéfices de ce nouveau dispositif sont aujourd’hui mis en cause.

Selon la définition de la Commission européenne en date de juin dernier, Eurosur doit permettre de renforcer la sécurité des migrants tout en prévenant la criminalité transfrontalière.

Ce nouveau « système de système » comme il se définit lui-même, est destiné à mettre en réseau les politiques de surveillance des frontières. Le même mécanisme d’échange de données existe pour la justice (Eurojust) et les questions fiscales (Eurofisc). Leur fonctionnement est aléatoire : les États y participent plus ou moins selon l’importance qu’ils accordent aux sujets traités.

Eurosur part sur une base plus solide : il dispose déjà d’une agence, Frontex, basée à Varsovie. Dotée de 85 millions d’euros de budget annuel, Frontex était au départ conçue pour produire des rapports comme celui-ci proposant des visions d’ensemble de la question migratoire.

Ses moyens ont été peu à peu renforcés, notamment avec la création de forces spéciales d’intervention, appelées "Rabit" ou Rapid Border Intervention Teams.

Elles étaient intervenues en Grèce notamment, lors d’une vague d’immigration forte à la frontière turque.

Leurs actions ont été largement critiquées notamment par Human Rights Watch dans un rapport intitulé Les mains sales de l’Europe.

Le dispositif Eurosur aura des applications concrètes. Un centre national de coordination doit être crée dans chaque état membre, qui mette en liens toutes les administrations œuvrant pour le contrôle des frontières.

Selon un rapport du Center for European Policy Studies la récolte des données effectuées conjointement par Frontex et Eurosur devrait servir à définir des analyses de risques, notamment en identifiant des groupes ethniques à risque, une procédure qui risque de s’avérer discriminatoire.

Le dispositif Eurosur a reçu mardi le soutien d’un eurodéputé britannique conservateur, Timothy Kirkhope, qui a déclaré « avoir toujours été en faveur de Frontex. Cette agence est importante non seulement pour la sécurité et la lutte contre les trafiquants de toute sorte, mais aussi dans la gestion des problèmes humanitaires potentiellement fatals.

Une approche sécuritaire en forme d’échec

Pour les ONG de défense des droits de l’homme et des migrants, cette approche n’est pas la bonne.

« Donner une réponse sécuritaire aux questions migratoires n’est pas la bonne solution. Depuis la création de l’agence Frontex, les morts aux frontières ne cessent de progresser, on est en autour de 2000 morts par an aux frontières de l’Europe » constate Olivier Clochard, docteur en géographie au centre universitaire Migrinter.

Selon les chiffres d’United Against Racism, le nombre de morts aux frontières de l’Europe depuis 1993 dépasse les 17.300 personnes

Le problème de cette approche sécuritaire tient dans ses dérives. Dans la pratique, la tendance est refluer les immigrants sans respecter les règles formelles, afin de minimiser le nombre officiel de demandeurs d’asile. C’est ce qu’on appelle le « pushback ».

En 2008, un bateau de pêcheurs qui avait secouru des migrants à Agrigente en Italie a été saisi, et ses pêcheurs emprisonnés. L’été dernier, des migrants qui avaient été secourus par un pétrolier ont été renvoyés en Libye.

Aujourd’hui, des questions se posent sur un bateau de la Guardia Civile italienne, qui était dans le port de Lampedusa lorsque le boat-people a fait naufrage. Plusieurs unités de Frontex y étaient aussi, équipées de radars. Or « le bateau qui a fait naufrage n’était pas un petit bateau, c’était un paquebot qui apparaît forcément sur les radars » remarque Olivier Clochard.

Le géographe demande donc une réaction politique pour appeler au respect du droit maritime, qui impose de secourir tous les navires en détresse.

Le règlement Dublin II crée des injustices

Selon Eurostat, les demandes d’asile ont légèrement progressé depuis le début de l’année, avec notamment un afflux de syriens. Sur longue période toutefois, les demandes d’asile restent stables. En 2000, 500.000 demandes étaient déposées en Europe. En 2012, ce fut autour de 400.000 selon Eurostat.

Mais les associations de défense des droits de l’homme s’interrogent sur la possibilité laissée aux migrants de déposer un dossier de demande d’asile. Seulement 700 demandes d’asile en provenance de Syrie ont été déposées au premier semestre 2013.

Pour arriver en France, les syriens doivent disposer d’un visa, alors qu’ils leur étaient auparavant délivré à l’aéroport. Un syrien arrivant sur le sol français sans visa peut donc être reconduit à la frontière, ou placé en détention. Des mesures visiblement dissuasives : les syriens s’orientent plutôt vers l’Allemagne ou la Suède.

Depuis juin dernier et la modification du règlement de Dublin, qui datait de 2003, les demandes d’asile ne peuvent être déposées que dans le pays d’arrivée des réfugiés.

Cette nouvelle règle porte préjudice aux Etats disposant de frontières maritimes importantes au Sud, comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne.

Alors que l’Allemagne par exemple n’est guère confrontée au sujet, ce qui entraîne une injustice selon Martin Schulz, le président du Parlement européen.

Pour voir l’article en ligne :
http://www.euractiv.fr/development-policy/le-drame-de-lampedu-decredibilis-news-530946