Une Europe en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente

Blog Médiapart (France), 10/05/2013

Frontex, mot valise européen à consonance française pour rendre hommage, dit-on, à la belle attitude de notre pays dans la guerre aux migrants extra-européens, c’est une machine de guerre contre "l’invasion" de la plantureuse Europe par de prétendues hordes de mendiants.

Un budget en croissance très rapide en période d’économies, pour une externalisation qui consiste pour les Etats européens, selon Claire Rodier, "à sous-traiter la gestion de l’immigration irrégulière aux pays limitrophes (Maghreb, Europe de l’Est) [ce qui] a plusieurs avantages : d’une part, elle opère un transfert du « sale boulot » (déportations de masse, détentions arbitraires, tortures) dans des pays dont les standards sont moins élevés qu’en Europe, en permettant de s’affranchir des obligations que les lois européennes imposent en matière « de respect des droits de l’homme » ; d’autre part, elle participe du rapport de dépendance que l’Union Européenne entretient avec son voisinage proche. Car, aux pays concernés, on promet, en échange de leur collaboration, le financement d’actions de coopération ou des contreparties de nature politique ou diplomatique. Mais ils n’ont en général ni la capacité matérielle, ni le cadre juridique, ni la volonté politique d’assumer le rôle de « cordon sanitaire » de l’Europe qu’on leur assigne."

Un marché lucratif pour les entreprises de sécurité, "[qui] déploie[nt] des forces humaines (des policiers “nationaux”) et techniques (des hélicoptères, des avions, des navires, des radars, des caméras thermiques, des sondes mesurant le taux de gaz carbonique émis, des détecteurs de battements de cœur et bientôt… des drones) en Méditerranée et à l’est de l’Europe".

Ces dispositifs de blocage obligent les candidats à la migration vers l’Europe à emprunter des routes nouvelles, plus longues et plus dangereuses. De ce fait, on estime à plusieurs milliers par an le nombre de morts.

Frontex participe à la recherche internationale dans son domaine. En témoigne l’organisation d’un Workshop on innovation in border control en août 2013 à Uppsala. Au programme :

Détection, identification et authentication des étrangers "à risque"
Communication entre les équipes opérationnelles et les autorités locales de contrôle des frontières
Partage de l’information concernant la sécurité des frontières, interopérabilité
Acquisition, fusion et utilisation des données relatives à la sécurité des frontières
Evolutions technologiques, acceptabilité et intégration. En Newspeak dans le texte : "CHALLENGE : Various new technologies with border control application potential are emerging, however, their integration into the border control processing chain poses administrative, technical, societal, privacy and human-machine optimisation issues". La prise en compte des transgressions de toutes natures attendues des évolutions engagées fait partie intégrante de la réflexion qui le programme !
Le développement galopant de cette armada (6 millions d’euros en 2005, 86 millions en 2011) s’accompagne inévitablement d’un questionnement sur la nature de ses interventions. Un consortium d’une quinzaine d’associations de sept pays (Belgique, Cameroun, France, Italie, Mali, Maroc, Mauritanie) et deux réseaux euro-africains ne se font pas d’illusions. "Symbole de la politique sécuritaire en matière migratoire et bras armé des États membres de l’UE, Frontex pose question notamment concernant la violation des droits lors de l’interception et du renvoi forcé des migrant.e.s. : Que se passe-t-il véritablement aux frontières ? Et qui est responsable de ce qui s’y passe ?

Lors de ces opérations, le respect des droits humains est mis en danger, particulièrement le droit d’asile, le droit à un traitement digne et au respect de l’intégrité physique. L’opacité des opérations - maritimes, aériennes et terrestres - conduites par FRONTEX et la dilution des responsabilités qui les caractérise portent atteinte aux principes fondamentaux reconnus par l’UE, ses États membres et les États tiers partenaires de l’agence".

A l’initiative de Migreurop, les opposants à cette entreprise étrange ont lancé une campagne d’information et de protestation, Frontexit. "L’objectif de Frontexit est double : informer un large public sur les dérives auxquelles donnent lieu les opérations de Frontex en termes de droits humains, et dénoncer ces dérives auprès des représentants politiques directement impliqués.

Plus concrètement, à travers nos actions d’investigation, de contentieux, de sensibilisation et d’interpellation politique, nous demandons :

• la transparence sur les mandats, les responsabilités et les actions de Frontex ;

• la suspension des activités de l’agence identifiées comme contraires aux droits humains ;

• l’annulation du règlement créant l’agence Frontex, s’il est démontré que le mandat de l’agence est incompatible avec le respect des droits fondamentaux."

Cependant, une étude publiée en février 2013, Immigration et croissance économique en France entre 1994 et 20081 semble indiquer que lorsque le produit intérieur brut par habitant décroît, l’immigration diminue, et quand le chômage augmente, l’immigration professionnelle diminue. Tiens !... Les migrants feraient-ils preuve de jugement dans le choix du pays qu’ils rejoignent ? La récession et le chômage qui sont le lot actuel de la France seraient-ils finalement plus convaincants que le dispositif de guerre déployé par l’UE ?

Martine et Jean-Claude Vernier

Pour retrouver l’article en ligne :
http://blogs.mediapart.fr/blog/fini-de-rire/100513/une-europe-en-guerre-contre-un-ennemi-qu-elle-s-invente