Mother Border : une carte-mère artistique sur la migration tunisienne

Fragile.org, 13/12/2013

Le spectacle est programmé samedi 14 décembre à 17h00 à la Cîté des Congrès de Nantes dans le cadre du festival Tissé Métisse. Mother Border est un ciné-concert documentaire sur le thème de la migration. L’association Etrange Miroir dresse un panorama sur l’aventure de jeunes tunisiens immigrés à Nantes.

Une création audiovisuelle qui interpelle : Mother Border. Elle raconte le parcours d’Hichem et de ses amis, jeunes migrants tunisiens.

Le spectacle de l’association Etrange Miroir retrace le voyage de cette jeunesse pleine d’espoir. De Mahares, ville côtière bordant la Méditerranée, en passant par l’île sicilienne de Lampedusa jusqu’à la cité des Ducs, le chemin est tumultueux. Ce ciné-concert questionne l’identité de ces migrants, les causes de leur départ après la Révolution de Jasmin et la politique des institutions européennes qu’ils vont rencontrer. L’occasion de croiser les regards. Le ciné-concert aborde le sensible pour questionner la pensée, en mélangeant formats artistiques et réflexion citoyenne : les voix et témoignages des acteurs et membres de l’association se mêlent à de l’accordéon, de la basse, du clavier, des percussions et de la guitare sur fond de vidéo et de photos.

Etrange Miroir, créé en 2011, a pour habitude de jouer avec différents moyens d’expression. L’association mêle à travers des créations et expositions le son, l’image et le texte. On pense notamment au kaléidoscope sonore Mobiles Illégitimes – qui parle de la mobilité des femmes migrantes - vu il y a quelques semaines à l’espace Cosmopolis. Créé comme Mother Border dans le cadre du festival Migrant’Scène, en partenariat avec la Cimade, ses réalisations on pour but « de décloisonner, de bousculer les habitudes, de surprendre » déclare Raphael Rialland, co-créateur de l’association. Là où les médias montrent des navires en train de couler, Etrange Miroir montre des jeunes en train de rêver.

"Le voile sanglant de la dictature et de la répression tombe, mettant à nue une liberté tant espérée"

Une traversée des frontières sans lendemain

Ce laboratoire créatif témoigne, et questionne le spectateur sur les politiques migratoires. « L’Europe a eu jusqu’en 2011 un système de régulation des migrations basé sur la délocalisation. Elle imposait au Maroc, à la Libye ou encore à la Turquie de retenir en amont les migrants » précise dans ce documentaire Claire Rodier, vice-présidente du réseau Migreurop. Mais après la chute de Ben Ali, la Révolution de Jasmin précipite la population dans la démocratie. La jeunesse qui est née au rythme d’un pouvoir autoritaire se sent pousser des ailes. La dictature et la répression tombent, mettant à nue une liberté tant espérée. À l’origine du départ d’Hichem et de ses camarades, un espoir immense et un véritable souhait de mobilité, de découverte. Les jeunes tunisiens du documentaire Mother Border ont à cœur de parcourir l’Europe, de découvrir le monde.

L’horizon des côtes tunisiennes appelle au voyage, mais les frontières – géographiques, politiques et administratives - sont toujours là, et n’en reste pas moins très difficile à franchir. Les mafias locales organisent l’immigration clandestine. Le sang coule - on pense notamment aux drames de Lampedusa – malgré tout, pour certains, la traversée se finalise. Mais une fois arrivé en Europe, les difficultés s’accumulent, l’accueil est rude. Il n’est pas simple d’obtenir une autorisation de travail, un logement. Un stigmatisation s’installe et l’espoir d’une vie meilleure retombe.

La Tunisie, enlisée politiquement, est indifférente à ce sujet. La France et l’Italie discutent d’une restriction voir d’une disparition des accords de Schengen face à la vague d’immigration d’Afrique du Nord. La politique sécuritaire et protectionniste des pays de l’Union Européenne font barrage, malgré un investissement conséquent des associations de migrants. Mother Border se fait écho de cette politique peu réceptive qui prive les migrants de leur souhait de mobilité.

Après avoir parcouru tout ce chemin, le choc est dur à encaisser. Retour à la case départ, parfum de désillusion et de déception : après avoir réussi à traverser la mer, franchit les barrières de l’Italie, séjourné des diverses villes de France, Hichem est finalement expulsé de Nantes. « La beauté d’un paysage n’indique pas la destination du voyage. »

Une liberté artistique au service d’un questionnement citoyen

Etrange Miroir prend le parti d’humaniser cette migration, de rendre l’expérience sensible, en mélangeant poésie et dimension sociale. Présenté en juin dernier au théâtre la Ruche, le public était très réceptif à cette expression et cette expérimentation, qui font partie intégrante de l’action de l’association.

Une liberté de création qui, selon elle, pousse plus loin la réflexion qu’un documentaire classique, en apportant une touche sensible à l’expérience. Les auteurs de cette création ne souhaitent ne pas se cloisonner dans un univers audio, mais explorent aussi le monde du visuel : le dessin se mêle à la vidéo et les photos du voyage du jeune Hichem. Expulsé il y a quelques mois, le jeune-homme n’aura pas eu la possibilité d’assister au spectacle. Ses camarades de voyage, eux, étaient particulièrement touchés par cette création audiovisuelle. Une manière de rendre hommage à cette aventure, sur le fil de l’espoir et de la résignation.

Julien Marsault

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