L’adoption du Règlement intérieur des CIE : une opportunité perdue

30 ans après la création de la figure juridique des Centres d’Internement et d’Expulsion [1] (CIE), leur règlement intérieur a été adopté.
Cette inertie, a, durant tout ce temps laissé le fonctionnement des CIE à la discrétion du ministère de l’Intérieur et de la police, ce qui en dit long sur l’importance que les gouvernements successifs ont accordé à la garantie des droits fondamentaux des personnes y étant enfermées.

La plateforme Que le droit ne s’arrête pas aux portes des CIE [2] a présenté, en avril 2012, un document de propositions très complet sur le projet de règlement intérieur qui, pour l’essentiel, n’ont pas été incorporées.

Un résumé rapide de ce qui a été adopté nous apprend que :

  • Le règlement intérieur permet l’enfermement dans les CIE de personnes vulnérables, tels que : « mineurs, personnes handicapées, personnes âgées, femmes enceintes, parents seuls avec enfants mineurs et personnes qui ont souffert la torture, le viol, ou toute autre forme de violence psychologique, physique ou sexuelle ». Il leur est uniquement réservé une « attention spécialisée ».
  • Le caractère policier des centres est maintenu. La police est chargée non seulement de la sécurité des centres, mais également de gérer tout ce qui est relatif au séjour de l’étranger dans le centre. Seule la « facette assistance » est assumée par des employés du secteur public extérieurs à la police.
  • La possibilité pour la police de porter des armes à feux à l’intérieur de centres qui n’ont aucun caractère pénitencier est généralisée, contrastant avec la législation pénitentiaire qui limite leur usage à des situations exceptionnelles.
  • L’habilitation d’autres « centres d’accueil temporaire ou provisoire » est autorisée, ce qui, au-delà d’une certaine indétermination, démontre l’anticipation d’un possible accroissement du nombre de personnes enfermées.

Considérant que – tel que l’affirme toujours ce règlement intérieur – les personnes enfermées sont uniquement privées du droit de circuler, il est par ailleurs scandaleux, qu’en réalité elles soient privées de droits élémentaires et fondamentaux n’ayant aucun lien, ce qui les place dans une situation d’infra droit par rapport aux établissements pénitenciers.

Ainsi :

  • Le libre accès au service public de santé n’est pas garanti, ni l’accès aux soins 24 heures/24.
  • Les visites des proches ne font l’objet d’aucune garantie de privacité ou d’intimité et peuvent être limitées quant au nombre de personnes, à la durée (30min) et seulement à certains jours de la semaine.
  • L’utilisation des téléphones portables n’est pas autorisée.
  • Les missions de contrôle du respect des droits des personnes enfermées, en sus de celles réservées au corps judiciaire, ne seront « facilitées » que pour les organismes nationaux et internationaux « ayant des compétences propres à la visite et à l’inspection des centres », ce qui revient à dire qu’aucune entité non institutionnelle ne pourra accéder au dit contrôle.
  • L’installation et le fonctionnement de caméras de vidéo-surveillance ne sont pas garantis, bien qu’il s’agisse d’un outil s’étant montré essentiel comme moyen de preuve quant à la réalité des situations de conflit, et qui constitue une garantie tant pour les détenus que pour la police.
  • La fouille à corps et à nu est autorisée
  • Les ONG ne se voient reconnaître aucun droit d’accès aux centres. Il s’agit uniquement d’un droit individuel propre à chaque détenu. De plus, la possibilité ou non de signer un accord ou une convention permettant les visites de ces organisations est laissée à la discrétion de la direction du centre.
  • Les zones d’attente des ports frontaliers sont exclues du champ d’application de ce règlement, devenant alors des lieux d’infra-droit, où les personnes étrangères jouiront de moindre garanties et de moindres droits.

Aussi, au vu des éléments ci-dessus évoqués, l’évaluation de la plateforme Que le droit ne s’arrête pas aux portes des CIE quant au projet de Règlement intérieur reste pleinement valide :

  • le maintien du modèle de gestion policier des CIE
  • le développement insuffisant des garanties des droits des personnes détenues
  • le clair retour en arrière, dans des aspects clés, en relation avec la situation actuelle

En dépit du travail constructif et déterminé réalisé depuis la Plateforme Que le droit ne s’arrête pas aux portes des CIE – auquel a participé un nombre de collectifs jamais atteint auparavant – le gros de ses propositions a été rejeté. Dès lors, si l’on considère que ce projet de règlement ne pouvait constituer une base de travail du Règlement intérieur, nous parvenons aujourd’hui à la conclusion que la législation adoptée n’est pas à la hauteur des transformations de notre société ni de l’évolution du phénomène migratoire, et ne remédiera malheureusement pas aux abus et violations de droits qui jalonnent l’existence de ces centres de la honte.

Le 17 mars 2014.

Andalucia Acoge
APDHA
Elin
Sos Racismo