A Calais, la politique contre les migrants

La Vie (France), 08/08/2014

De récentes tensions entre migrants ont à nouveau attiré l’attention sur Calais alors que la France semble devenir un pays de transit plutôt qu’un pays de destination pour l’immigration clandestine. Le point avec Philippe Wanesson, membre de l’association Migreurop.

Depuis une semaine, la situation des migrants à Calais refait parler d’elle. Entre dimanche 3 août et lundi 4 août, des groupes de Soudanais et d’Erythréens se sont affrontés à trois reprises, dans le centre et dans la zone portuaire de Calais, malgré l’envoi d’une quarantaine de CRS en renfort dès dimanche soir. Ces heurts ont fait près de 70 blessés, dont l’un a dû être transporté par hélicoptère dans un état grave à l’hôpital de Lille, dans la nuit de lundi à mardi.

Ces rixes entre personnes originaires d’Afrique de l’Est témoignent des tensions croissantes que provoque l’afflux de plus en plus important de migrants. Selon les chiffres officiels, près de 7 500 clandestins ont été interpellés dans la ville portuaire du nord depuis le début de l’année alors qu’ils tentaient d’embarquer clandestinement pour la Grande-Bretagne. La pression s’est intensifiée ces derniers mois où le nombre de migrants présents avoisine les 1.500 personnes, venus principalement de l’Est de l’Afrique, d’Afghanistan, de Syrie et de Libye, soit une augmentation de l’ordre de 50% en quelques mois.

Philippe Wanesson, membre de l’association Migreurop et auteur du blog Passeur d’hospitalité, revient sur la situation.

À quoi sont dus les affrontements auxquels on a assisté ces derniers jours ?

Sûrement au monde présent à Calais ces derniers mois. Les bateaux de migrants ne sont plus arrêtés en Italie pour être renvoyés en Libye comme avant. Ce phénomène récent a des répercussions sur Calais depuis l’été dernier. La ville voit sa population migrante augmenter et la majeure partie veut passer en Grande-Bretagne le plus rapidement possible.

Il y a deux moyens de passer de l’autre côté de La Manche : par le tunnel ou par le port et les ferries. Les tensions survenues récemment sur le parking du port sont dues au fait que ceux habitués à prendre le tunnel sont allés sur le port pour prendre le ferry. Ainsi, contrairement à ce qui a été parfois écrit, il ne s’agit de rixes entre nationalités, mais entre groupes qui traditionnellement n’interfèrent pas, parce que passant à des endroits différents.

Quelles sont les liens entre les évacuations des camps et les tensions ?

On assiste à une précarisation des conditions de vie des migrants. Depuis fin mai les autorités françaises ont évacué en peu de temps plusieurs camps. Les camps qui étaient facilement accessibles pour les associations, proches du centre-ville, ont été démantelés. Le 2 juillet, un campement où eaux et électricité étaient présents et trois squats ont eux aussi été détruits. Aujourd’hui ils sont relégués dans des campements de fortune à la périphérie de Calais. La précarisation est croissante. Ces personnes arrivent ici après avoir affronté des voyages très longs et durs. Ils sont à bout. Ils ne se sentent pas les bienvenus ni en Europe ni en France, d’où le besoin de quitter le pays.

Ces crises à Calais semblent se répéter de manière cyclique...

Révolutions arabes, guerres au Soudan, en Syrie, en Irak, en Palestine... la hausse et la baisse des arrivées sont souvent liées aux évènements internationaux. En 2009, il y avait énormément de monde à Calais, mais pas autant qu’aujourd’hui. Les populations les plus présentes aujourd’hui sont souvent issues de pays d’Afrique de l’Est comme l’Erythrée, le Soudan, le Tchad ou l’Ethiopie. Elles arrivent par la Libye. Cette augmentation est liée aux politiques et aux guerres présentes dans ces Etats. Mais aussi aux politiques migratoires de pays qui avaient l’habitude de les accueillir, comme Israël, qui a beaucoup durci sa politique d’accueil des immigrés, ou comme l’Arabie Saoudite.

Parfois, il faut attendre longtemps avant de voir des personnes fuyant les conflits arriver jusqu’à Calais. Par exemple, les Syriens sont arrivés un an après le début du conflit. Ils ne pensaient pas que la guerre allait durer si longtemps. Alors ils ont fui dans les pays voisins avant de rejoindre l’Europe. C’est ce qui risque de se passer avec les populations irakiennes par exemple. On aura les retombées plus tard.

Mais il y a aussi des évènements dont les médias ne parlent pas, comme la forte présence d’Albanais depuis deux ans. Leur présence n’est pas la conséquence de conflits ou d’évènements médiatisés. Ils sont peu dans les camps et les associations les voient très peu. Ils ont une situation particulière car ils n’ont plus besoin de visa pour une durée de trois mois maximum. En général, ils ont été expulsés de Grande-Bretagne et retentent leur chance, ou ils ont quitté la Grèce à cause de la crise économique et partent vivre ailleurs.

Quelle place occupe la France aujourd’hui dans le schéma migratoire ? Serait-elle devenue un Etat de transit plus qu’un pays de destination ?

En effet, la France semble devenir de plus en plus un pays de transit. En tout cas c’est l’impression qui ressort sur le terrain. Les longs délais d’attente pour les demandes d’asile, le manque d’hébergement mis à disposition sont des causes de ce changement.

Imaginez, vous êtes un Afghan et vous arrivez à Paris. Vous voyez vos compatriotes dormir dans les rues et sous les ponts car les dispositifs d’accueils sont saturés et vous devez faire face à une lourdeur administrative pour votre demande d’asile. Que faites-vous ? Le système est repoussoir. C’est exactement ce qui s’est passé avec les Syriens l’été dernier. Lorsque la Suède a décidé de simplifier leur demande d’asile, beaucoup ont quitté Calais, direction l’Europe du Nord.

Mais les gens commencent à s’intéresser à la problématique des migrants et demandeurs d’asile. Si des dispositifs sont mis en place au niveau de l’hébergement et de l’accompagnement les migrants décideront peut-être de rester en France au lieu de juste transiter par le pays.

Quelle serait la solution pour améliorer les conditions de vie et d’accueil des migrants à Calais ?

Plusieurs centaines de personnes vivent dans plusieurs camps dans les dunes. Ces personnes n’ont pas d’hébergement, voir pas d’abri et n’ont qu’un seul repas par jour. Techniquement, il serait tout à fait possible d’améliorer leur situation de vie sans devoir demander de l’aide à des autorités telles que l’UE ou l’ONU. Calais est pleine de bâtiments vides qui pourraient être réaménagés. Mais c’est politiquement que les choses n’avancent pas ou peu. Entre la mairie de Calais, les élus locaux, les prises de positions se contredisent.

Deux solutions seraient possibles. La première, concerne la mise en place d’un grand camp organisé et avec des équipes présentes. La seconde option, consisterait en la création de différents camps d’accueil. Et peu à peu les personnes pourraient être hébergées dans des petites unités, comme des sortes d’auberges de jeunesses étant donné le nombre de bâtiments disponibles à Calais. Les migrants se fondraient dans le tissu urbain et s’intégreraient au tissu social.

ELENA FUSCO

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