Accueil des réfugiés, l’Europe cherche un terrain d’entente

La Croix (France), 06/09/2015

Les ministres européens des affaires étrangères réunis à Luxembourg le samedi 5 septembre ont affiché leurs divisions sur la résolution de la crise de l’asile.
Cependant, les lignes politiques et les opinions commencent à bouger. La Commission européenne appelle désormais les pays à se répartir 200 000 demandeurs d’asile.

« Bienvenue en Allemagne. »

C’est sous les applaudissements et avec des dons de nourriture et de vêtements que des armées de bénévoles allemands accueillent les flots quotidiens de réfugiés. Samedi 5 septembre, 8 000 d’entre eux sont arrivés dans les gares de Francfort et de Munich. Dimanche 6 septembre, 5 000 étaient attendus en Bavière.

Comme en écho, à quelques centaines de kilomètres en Hongrie, des réfugiés épuisés de marcher implorent les policiers : « S’il vous plaît, envoyez-nous des bus. » La Hongrie, totalement dépassée par la situation – 50 000 migrants ont afflué au mois d’août –, avait affrété sous la pression 123 bus dans la nuit de vendredi à samedi, jusqu’à la frontière autrichienne.

Mais cette « initiative unique », selon l’expression du chef de la police hongroise, s’est arrêtée dès samedi. Toutefois, le trafic ferroviaire a été rétabli dimanche 6 septembre pour les migrants. Face à la crise de l’asile, les pays européens tirent à hue et à dia.

La Hongrie opte pour la ligne dure

L’Allemagne se prépare à accueillir au total 800 000 demandeurs d’asile cette année et déploie des dispositifs tous azimuts pour l’hébergement, la nourriture, l’apprentissage de l’allemand, etc., pour un coût de dix milliards d’euros pour l’année, selon une estimation du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Une initiative menée sous l’œil bienveillant du patronat, en mal de main-d’œuvre.

Lire notre dossier spécial : Elections législatives en Hongrie

Et ce, alors que la Hongrie de Viktor Orban a opté pour une ligne dure illustrée par le mur grillagé, construit en août le long de la frontière avec la Serbie. Samedi 5 septembre, le premier ministre a jugé « inacceptable » le fait que les réfugiés, à pied, empruntent et bloquent les autoroutes.

« C’est le bazar en Europe »

Entre les deux pays, l’Autriche a décidé de venir en aide à ces réfugiés coincés en Hongrie en leur facilitant l’accueil et le transit vers l’Allemagne. Mais le chancelier autrichien Werner Faymann a averti ses collègues européens que la « bonne volonté » de Vienne n’était pas la solution au problème et réclamé un sommet européen exceptionnel, dans la foulée de la réunion des ministres européens de l’intérieur, prévue lundi prochain.

Or après deux jours de discussions à Luxembourg, les ministres européens des affaires étrangères se sont quittés samedi 5 septembre sur un terrain de mésentente. « C’est le bazar en Europe », s’est insurgé le ministre autrichien Sebastian Kurz appelant l’UE à « ouvrir les yeux ». « Face à cet événement dramatique », « plus tôt on l’acceptera, plus tôt on sera en mesure d’y répondre efficacement », a exhorté la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.

Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU a demandé aux pays européens de se répartir 200 000 demandeurs d’asile. La commission européenne, qui plaide depuis plusieurs mois pour l’instauration de quotas de réfugiés par pays, s’apprête à revenir à la charge pour que les États membres se répartissent 120 000 d’entre eux. Le Royaume-Uni, jusqu’ici totalement fermé, envisage d’accueillir 15 000 Syriens.

« L’impensable d’hier n’est plus inenvisageable. »

« Les lignes politiques bougent de même que les opinions qui toutes deux interagissent », constate Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés et cofondatrice de l’observatoire des frontières Migreurop. « Il y a peu, une répartition de 40 000 réfugiés semblait beaucoup, aujourd’hui on parle de 120 000, 200 000. On voit bien que cette notion de “ beaucoup” est très relative, commente-t-elle. Le bureau pour l’Europe du HCR estimait d’ailleurs que l’UE pouvait en accueillir un million. L’impensable d’hier n’est plus inenvisageable. »

Selon la spécialiste, le système d’asile que l’UE a construit agonise. « L’ensemble du dispositif basé sur les directives accueil, le règlement de Dublin et la politique d’externalisation vers les pays du voisinage européen visait de fait à filtrer et accueillir le moins possible de réfugiés », explique-t-elle en poursuivant : « Cette politique qui s’est appuyée sur les pays du sud et de l’est de l’Europe, chargés d’assurer un rôle de zone tampon a contribué à nourrir le ressentiment et l’hostilité dans ces pays. Reste aujourd’hui à construire une politique européenne solidaire d’accueil des réfugiés. » Un tournant que l’on sent se dessiner.

Lien vers l’article de Marie Verdier sur La Croix