Sara Prestianni : « L’externalisation, une logique perverse et inefficace »

Entretien réalisé par Emilien Urbach - L’Humanité (France), 03/01/2017

Entretien. Sara Prestianni dénonce régulièrement la généralisation de l’enfermement des étrangers et la multiplication des camps, qui sont au cœur de la politique d’externalisation de l’Union européenne.

Vous avez accompagné les parlementaires de la Gauche unitaire européenne dans leur mission au Soudan. Pourquoi ?

Sara Prestianni Je travaille sur l’externalisation des politiques migratoires. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il s’accélère. Ces politiques sont particulièrement inquiétantes lorsqu’elles s’appliquent à un pays comme le Soudan. Son président fait l’objet d’une dizaine de chefs d’accusation à la Cour pénale internationale et on connaît la violence de son régime. Mais les États de l’UE passent par-dessus ces considérations parce que c’est le pays par lequel transitent beaucoup des exilés africains que nous retrouvons en Europe.

Pendant cette mission, vous étiez accompagnée de deux avocats italiens spécialistes du droit des immigrés. En leur compagnie, vous avez rencontré un groupe de Soudanais expulsés d’Italie…

Sara Prestianni Il a fallu faire cela de façon très discrète pour ne pas attirer sur eux la suspicion des autorités. En 2016, l’Italie a passé des accords bilatéraux avec le Soudan. Le 24 août, 48 personnes ont été arrêtées et renvoyées. L’une d’entre elles a eu la chance que l’avion n’ait pas assez de places. Elle a été enfermée au centre de rétention administrative de Turin et a finalement obtenu le statut de réfugié. Il était important de rencontrer ceux qui n’ont pas pu demander l’asile et qui ont été renvoyés. D’abord, pour pouvoir analyser l’impact réel de ces accords. Nous avions aussi plusieurs questions notamment sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les arrestations, leur possibilité ou non de formaliser une demande d’asile, ou encore de refuser de monter dans l’avion. Aujourd’hui, nous sommes en capacité d’entamer des démarches en justice contre l’État italien.

Quel regard portez-vous sur cette stratégie des États membres de l’UE ?

Sara Prestianni Depuis la signature des accords UE-Turquie et le sommet de La Valette, l’externalisation est devenue l’axe central des politiques migratoires des pays membres. On signe aujourd’hui des accords avec le Mali, l’Afghanistan, etc. On y investit des milliards d’euros. Mais c’est une logique perverse. D’abord, il s’agit d’un détournement des fonds normalement dédiés à l’aide au développement. C’est, de plus, tout à fait inefficace. On sait que lorsque l’on ferme une route, d’autres se créent, encore plus dangereuses et que les mafias de passeurs font payer plus cher. Enfin, ces politiques tendent à monétiser l’humain. Le Kenya menace, par exemple, de laisser partir près de 500 000 exilés en fermant le camp de réfugiés de Dadaab, le plus grand d’Afrique, s’il n’obtient pas sa part du gâteau…

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