Interview de Marine De Haas : « Hotspots » en Libye : l’annonce problématique d’Emmanuel Macron

Article de Alcyone Wemaëre - France 24 (27 juillet 2017)

En marge de la visite d’un centre d’hébergement de réfugiés à Orléans jeudi, le président français a annoncé la création de "hotspots" en Libye "dès cet été". Une annonce qui pose problème à la Cimade et au HRW, notamment.

"L’idée est d’ouvrir des ’hotspots’ en Libye afin d’éviter aux gens de prendre des risques fous alors qu’ils ne sont pas tous éligibles à l’asile. (…) Je compte le faire dès cet été." Emmanuel Macron a bien prononcé ces mots lors d’un échange avec plusieurs journalistes jeudi 27 juillet, en marge de la visite d’un centre d’hébergement de réfugiés à Orléans. Une annonce "choc" qui a aussitôt fait l’objet d’alertes par plusieurs agences de presse.

Pourtant, dans le discours officiel prononcé un peu plus tard par le chef de l’État à l’issue d’une cérémonie de naturalisation, il n’est déjà plus question de "hotspots" en Libye, mais de "missions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra)" (…) "sur le sol africain, dans les pays sûrs". Exit aussi toute référence à "cet été", ou même à un quelconque calendrier.

Dans son discours, Emmanuel Macron déclare : "Je souhaite que l’Union européenne, et à tout le moins, la France le fera-t-elle, puisse aller traiter les demandeurs d’asile au plus près du terrain, dans l’État tiers le plus sûr, proche justement des États d’origine. C’est pourquoi nous développerons des missions de l’Ofpra qui iront, les unes, sur les hotspots italiens, pour améliorer notre coopération avec l’Italie, en termes justement de demandeurs d’asile, les autres, sur le sol africain, dans les pays sûrs, où nous pourrons organiser ces missions, pour traiter des demandeurs d’asile et leur éviter de prendre des risques inconsidérés."

Une allocution plus vague, donc, que ses déclarations surprenantes quelques minutes plus tôt à la presse. Contacté par France 24, le service communication de l’Élysée relativise l’échange du président avec les journalistes en présentant les "hotspots" comme de simples "postes avancés de l’Ofpra" et en soulignant que "l’entourage du chef de l’État" a bien précisé qu’aucun "hotspot" n’ouvrirait en Libye "si les conditions de sécurité ne sont pas réunies… ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ou cet été". Et l’Élysée d’évoquer désormais "des pays au sud de la Libye comme le Tchad ou le Niger, où on peut envisager ces missions de l’Ofpra". En début de soirée, l’Élysée indiquait à l’AFP que l’ouverture de "hotspots" en Libye même n’était "pas possible aujourd’hui, mais ce peut être le cas à courte échéance (...). Dès fin août, nous aurons une mission de l’Ofpra pour voir comment il est possible de mettre cela en place".

"Une volonté inquiétante de la France de sous-traiter la demande d’asile"

Sortie calculée destinée à sonder l’électorat conservateur, ou bourde suivie d’un rétropédalage dans les règles de l’art ? À moins qu’il ne s’agisse d’une réplique à la rencontre organisée mardi par le président français près de Paris entre le Premier ministre libyen d’union nationale Fayez al-Sarraj et le général contrôlant l’est du pays, Kalifa Haftar ? Dans une interview à l’AFP, Judith Sunderland, spécialiste des questions migratoires à Human Rights Watch (HRW) relevait en tout cas avant la mise au point de l’Élysée : "On manque totalement de détails, c’est une déclaration qui a surpris nombre de personnes, y compris à la Commission européenne. Nous ne voyons pas clairement ce qu’il a en tête".

Interrogée par France 24, Marine de Haas, spécialiste des questions européennes à la Cimade, analyse : "Qu’il ait parlé ou pas de la Libye, ce qui est très inquiétant, c’est cette volonté de la France de sous-traiter et d’externaliser le traitement la demande d’asile. L’idée affichée est d’intervenir le plus en amont possible pour trier les réfugiés. On reprend la vieille opposition grossière entre les gentils demandeurs d’asile et les méchants migrants économiques. Comme si c’était aussi simple que cela".

Comme la représentante d’HRW, Marine De Haas estime que les propos d’Emmanuel Macron soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, y compris sur le plan de la faisabilité : "Le rôle de l’Ofpra est de traiter des cas de demande d’asile en France, pas à l’étranger", souligne-t-elle ainsi.

À l’heure actuelle, il existe neuf "hotspots" sur le territoire européen : quatre en Italie et cinq en Grèce. Et, à l’instar d’autres ONG, la Cimade est "très critique" envers ces endroits qu’elle considère ni plus ni moins comme des "centres de tri" aux frontières extérieures. Alors en établir hors d’Europe ? "Comment est-ce imaginable ?", s’indigne Marine De Haas en pointant les risques pour les droits et la dignité des personnes concernées. Pour elle, si cela devait se concrétiser, il n’est pas exclu que la procédure soit retoquée par la justice européenne pour violations des droits humains.

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