L’obscénité des frontières

Rapport d’activités 2017

Alors qu’elle ne prendra la présidence de l’UE que le 1er juillet prochain, l’Autriche, par la voix de son Premier ministre, a déjà annoncé qu’elle souhaitait « insister sur les frontières ». Rien de très étonnant de la part du leader d’un parti d’extrême droite mais cette lubie est partagée par de nombreux chefs de gouvernement européens et semble même être le plus petit dénominateur commun des États membres. « La protection de notre territoire, la protection de nos frontières extérieures ainsi que la lutte contre la migration illégale » seraient d’ailleurs les seuls sujets à faire consensus ainsi que le notait le Président du Conseil européen en janvier dernier. « L’obsession des frontières » n’est certes pas nouvelle et a été diagnostiquée depuis une dizaine d’années par de nombreux analystes mettant en exergue comment la mondialisation s’accompagnait de la délimitation et du renforcement de milliers de kilomètres de frontières. L’année 2017 a cependant marqué une nouvelle étape dans la « frontiérisation » comme masque de l’absence de projet européen.

Pour qui veut ouvrir les yeux, il est ainsi nettement apparu que cette obsession ancienne était devenue purement obscène. Les propos du directeur de l’agence Frontex vantant le renforcement des frontières comme une politique de protection des droits fondamentaux incarnent cette négation de l’humanité de celles et de ceux qui cherchent à les franchir en dépit de leur statut de parias, autrement dit de l’impossibilité qui leur est faite de faire valoir leurs droits. Quand Fabrice Leggeri clame que l’amélioration des « techniques de surveillance, assure la protection de ceux qui sont persécutés ou menacés », il occulte l’existence même d’un des plus grands crimes de ces dernières décennies.

La politique de « laissez-mourir » pratiquée par l’UE et les États membres a en effet transformé la Méditerranée en frontière la plus dangereuse au monde. En 2017, plus de 3 100 personnes sont ainsi décédées en tentant de la traverser. Cette hécatombe est aujourd’hui connue comme le sera demain celle qui frappe les migrant·e·s dans des étapes antérieures de leur voyage, notamment au Sahara. Ce crime contre une commune humanité n’est certes pas revendiqué par l’Europe mais elle l’a cependant endossé : c’est en tout cas ce que suggèrent les réponses institutionnelles qu’elle a proposées. Ces dernières ont avant tout consisté à vilipender et poursuivre les ONG tentant d’organiser des secours en mer, ainsi qu’à financer des garde-côtes libyens afin qu’ils renvoient les « damnés de la mer » vers leurs geôliers et autres acteurs d’une économie du passage transformée en industrie des persécutions.

Les limites de l’externalisation des frontières et de l’abaissement des droits fondamentaux ont en effet à nouveau été repoussées : alors que l’année 2016 avait été marquée par un arrangement honteux avec la Turquie, dont les communiqués de l’UE n’ont de cesse de souligner qu’il a largement tari les arrivées dans les îles grecques, 2017 a été marquée par l’intensification des négociations avec les différents acteurs libyens avides de se partager la manne du contrôle des frontières extérieures de l’UE.

En amont de la nasse libyenne, des fonds européens sont déversés à d’autres étapes de « routes migratoires » qu’il faudrait à tout prix couper, sans jamais s’interroger sur les conséquences de cette politique en termes d’équilibres et de circulations régionales. La projection des frontières et le creusement des inégalités de droits (à circuler, émigrer, à être protégé des exactions des forces armées…) sont la marque de ce nouvel impérialisme. Au sein de l’Union, chacun a en effet compris que le « partage du fardeau » pouvait être un facteur de dissensions, voire de crises diplomatiques, à moins qu’il ne repose sur des acteurs extérieurs trouvant là un levier de négociations dans leurs échanges déséquilibrés avec l’UE.

Ce sont ces logiques que Migreurop a continué à décrypter et dénoncer tout au long de cette année, au travers notamment de la 3e édition de son Atlas des migrants en Europe publié par Armand Colin, de ses Notes destinées à un large public, ainsi que de la circulation de son exposition Moving Beyond Borders. Une nouvelle fois ces activités ont été permises par l’engagement de son équipe salariée, la mobilisation de dizaines de bénévoles et le soutien de ses nombreux partenaires.

Après des années de fragilité financière, la vente aux enchères d’œuvres d’art contemporain et le projet « We dream under the same sky » vont permettre de consolider le budget de l’association. Ils ont surtout constitué une grande opportunité pour le réseau, nous permettant de toucher de nouveaux publics et de construire des passerelles avec le monde de l’art, dans un commun engagement de transformation sociale et de défense des droits humains.