Etat d’avancement des projets de l’UE et du HCR au Maghreb

Compte-rendu de l’atelier n°1

- Restitution de la journée :

Restitution de l’atelier n°1

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- Présentation de la Plate-forme Migrants et de la situation générale au Maroc au regard des projets de l’UE et du HCR - Anne-Sophie Wender, Cimade

Présentation de la Plate-forme migrants :

La Cimade participe activement aux activités de la Plate-forme migrants qui a été crée en mars 2004 et rassemble, autour de la question des migrants et d’une charte éthique, différentes associations marocaines, espagnoles et françaises (AFVIC, Alter Forum, AMDH, AMERN, ATMF, APDHA, ATTAC-Rabat, Caritas, Cimade, EEAM, Homme et environnement, les Pateras de la Vida), des chercheurs et les Eglises présentes au Maroc afin d’échanger, d’analyser et de coordonner les différentes actions concernant les migrations au Maroc. La Plate-forme réunit aujourd’hui une dizaine d’associations et deux membres individuels fondateurs, dont plusieurs représentants sont aujourd’hui présents. Elle se réunit tous les trimestres afin de faire le point sur la situation sur le terrain, de discuter des projets ou travaux en cours des associations membres et pour réfléchir à la manière de travailler efficacement ensemble.

Situation générale au Maroc

Le Maroc, comme d’autres pays du Maghreb et de manière plus large les pays frontaliers de l’UE, est devenu, avec la fermeture des frontières européennes, un pays de transit pour de nombreux migrants souhaitant se rendre en Europe et se retrouvant bloqués aux portes de celle-ci.

Les lieux de rassemblements les plus importants des populations subsahariennes au Maroc sont :

 Oujda au Nord-Est, ville frontalière avec l’Algérie qui constitue un des points d’entrée au Maroc,
 Les forêts proches des enclaves espagnoles de Ceuta et Mellilla d’où les migrants tentent ce qu’ils appellent « l’attaque des grillages »,
 Le Sud du Maroc, principalement aux environs de Laayoune d’où certains migrants tentent la traversée en pateras vers les Iles canaries.
 Et les grandes agglomérations telle que Rabat, Casablanca, Fès et Tanger où les migrants trouvent généralement refuge dans les quartiers populaires.

D’après les observations de la Cimade, au cours d’une enquête de terrain réalisée en juillet 2004, et d’associations effectuant un travail de terrain -quotidien auprès des populations migrantes, les motivations de départ du pays d’origine sont principalement de deux ordres : la fuite en raison de persécutions et de conflits ; la recherche de moyens de survivre et d’améliorations économiques. L’Europe n’était pas forcément la destination choisie au départ du pays d’origine mais les conditions de vies difficiles dans les différents pays traversés ont incité ces personnes à poursuivre leur chemin.

Toutes les associations sont unanimes pour dénoncer les conditions de vie déplorables des migrants en transit au Maroc et les atteintes importantes à leurs droits et à leur intégrité physique dont ils sont victimes aussi bien au Maroc que lors des tentatives de passages vers l’Espagne.

Du côté espagnol, l’obligation de non-refoulement imposée par la Convention de Genève est constamment bafouée. Les migrants qui parviennent à franchir les grillages qui séparent le Maroc des enclaves espagnoles sont en effet généralement refoulés par la Guardia civile sans autres formalités, y compris les demandeurs d’asile. Les allégations de violences et d’humiliations, telles que les insultes et les déshabillages, commises par la Guardia civile sont très nombreuses.

Du côté marocain, les atteintes aux droits et à l’intégrité physique à l’encontre des migrants subsahariens semblent poursuive un but dissuasif et sont très révélatrices des pressions de l’Union européenne sur le Maroc pour l’inciter à renforcer le contrôle de ses frontières.

En premier lieu, le gouvernement marocain exerce une surveillance accrue de ses frontières extérieures, situation très paradoxale dans le Nord, le Maroc contestant historiquement la légitimité territoriale des enclaves espagnoles.

En second lieu, dans le but avoué de décourager l’installation des migrants dans les forêts proches des enclaves espagnoles, les forces de l’ordre marocaines effectuent régulièrement des rafles dans les camps informels. Ces descentes de police s’accompagnent d’arrestations, de violences, de saccages des cabanes, de vols et généralement de blessures pour les migrants qui tentent de s’enfuir dans la montagne très pentue et caillouteuse. Des rafles ont également lieu régulièrement dans les quartiers populaires des grandes villes où les migrants se réfugient.

Lorsque les migrants sont arrêtés, ils sont refoulés vers la frontière algérienne. Refoulement qui là aussi ne semble poursuivre qu’un but dissuasif, les migrants repassant la frontière quelques jours voire quelques heures après.

Les règles de procédures relatives aux interpellations et aux refoulements sont des plus aléatoires, en particulier le temps passé en cellule qui dépend uniquement du nombre de migrants interpellés. Les refoulements sont collectifs et s’effectuent en bus ou en fourgonnette par groupe d’au moins 15 personnes et pouvant aller jusqu’à 80 personnes. Certains migrants sont raccompagnés à la frontière algérienne sans aucune formalité, d’autres sont présentés à un juge, parfois collectivement, avant le refoulement. Pas non plus d’avocat ni d’interprète.

Les demandeurs d’asile ne peuvent à aucun moment formuler une demande de protection et ne sont pas informés de la possibilité de le faire. En l’absence de procédure d’asile clairement identifiée, la seule possibilité pour espérer obtenir une protection est de parvenir à se rendre au bureau du HCR à Rabat avec tous les risques que cela comporte et sachant que la seule manière par laquelle circule l’information sur cette possibilité est le bouche à oreille au sein des populations migrantes. Les rares demandeurs ayant réussi à obtenir un « récépissé » du dépôt de leur demande, se voient généralement refouler comme les autres, les forces de l’ordre marocaines n’accordant aucune valeur à ce document.

A tout cela s’ajoute également la dissuasion des autorités envers la population marocaine. A ce titre, nous pouvons évoquer la loi du 02-03 et son utilisation douteuse concernant une des dispositions, destinée au départ à permettre la condamnation de personnes qui s’adonneraient au « trafic d’être humains ». La loi prévoit en effet des peines lourdes pour toute personne qui faciliterait l’entrée ou la sortie des nationaux ou des étrangers de manière clandestine du territoire marocain (...) notamment en effectuant le transport. Les autorités abusent de la menace de l’utilisation de cette disposition contre les transporteurs (taxi, bus) qui la plupart, en particulier dans la région d’Oujda et Nador, refusent de transporter des subsahariens ou leur demandent la présentation de leur titre de séjour.

Cette loi que nous pourrons évoquer plus largement lors du débat est inquiétante par bien d’autres aspects, surtout si l’on considère qu’elle est un simple copié-collé d’un texte français (l’ordonnance de 1945 française relative à l’entrée et au séjour des étrangers) et qu’elle prévoit entre autres la création de centres de rétention pour faciliter l’éloignement des étrangers.

Le contexte européen

La situation des migrants subsahariens au Maroc ne peut être traitée indépendamment des politiques européennes relatives à l’immigration. La fermeture des frontières de l’Europe contribue en effet largement à rendre de plus en plus « visibles » les populations migrantes qui se retrouvent bloquées aux portes de l’Europe.
La politique restrictive choisie par les Etats membres quant à l’accès à leur territoire n’est pas sans conséquence, ni pour les migrants exposés à des dangers toujours plus grands pour parvenir à rejoindre le territoire européen, ni pour des pays frontaliers de l’Union, tel le Maroc, qui se retrouvent contraints de jouer le rôle de gardes frontières pour satisfaire aux exigences de leurs partenaires européens. Au mépris de leurs engagements internationaux, en particulier ceux relatifs à la protection des réfugiés, les Etats membres exercent des pressions importantes sur les pays de transit pour que tout soit mis en œuvre pour contrôler, dissuader et refouler les populations migrantes.

Aujourd’hui la seule réponse que semble vouloir apporter l’Europe à la situation des migrants en transit dans les pays d’Afrique du Nord, situation qu’elle a elle-même générée, est essentiellement basée sur l’idée de transformer ces pays de transit en pays de premier accueil. Cela passe par diverses mesures telles que la conclusion d’accord de réadmission, le renvoi des migrants et des demandeurs d’asile vers des pays tiers « sûrs » voire même la création de « centres », « guichets » ou encore « points d’accueil » dans les pays concernés où les migrants et les demandeurs d’asile seraient accueillis, « triés » et refoulés, exceptés les quelques chanceux qui auraient obtenu le statut de réfugié ou auraient un profil suffisamment intéressant pour les pays européens.

Des fonds importants sont destinés au renforcement des capacités de ces Etats , dont le Maroc, pour les inciter à répondre aux volontés de l’Union :

La politique de voisinage de l’UE, dont le Maroc est un pays cible (comme la Tunisie et la Libye) comporte un volet migratoire important au côté des questions économiques et sociales. Tout est fait pour inciter le Maroc à devenir, ce que le Professeur Belguendouz a appelé dans un de ses ouvrages « le gendarme de l’Europe ».

Des fonds sont également débloqués pour faciliter les négociations, concernant les accords de réadmission, lancées en 2000 par l’Union avec onze pays tiers qui peinent à avancer. Pas étonnant puisque ces pays ne tirent aucun avantage de tels accords qui au contraire, tendent à faire porter la charge de la protection des migrants sur les pays du sud. Certains de ces accords, en particulier celui en négociation avec le Maroc, prévoient non seulement la réadmission des nationaux mais également celle de toute personne ayant transité par cet Etat, et ne prévoient aucune clause de sauvegarde du droit d’asile ni même de protection des droits humains.

Dans l’espoir de voir les négociations aboutir, l’UE s’est donc employée à trouver des arguments convaincants et s’est ainsi lancée dans un honteux chantage à l’aide au développement que la plupart de ces pays ne sont pas en mesure de refuser. Ainsi, avec le Maroc, les négociations ouvertes officiellement en 2000, n’ont réellement commencé que deux ans plus tard, après le déblocage par l’Union de 70 millions d’euros pour le développement de la région Nord.

Concernant l’idée de création de « centre d’accueil » ou de « guichet asile » dans les pays tiers où seraient traitées les demandes, malgré le fait que la proposition britannique de 2003 ait été finalement écartée, les déclarations des ministres de l’Intérieur allemand et italien fin 2004 qui évoquaient cette solution « pour empêcher de nombreux morts chaque année dans le bassin méditerranéen » laissent craindre que de tels projets ressurgissent un jour ou l’autre. Avec des arguments tels que le « soutien humanitaire », ces pays s’emploient surtout à trouver des solutions qui permettraient d’empêcher les migrants de parvenir jusqu’aux frontières de l’Europe.

La Commission européenne s’est ainsi lancée dans trois projets pilotes, sous l’égide du HCR, dont l’un a pour but d’accroître les capacités institutionnelles de ces Etats pour le traitement des demandes d’asile. Un million d’euros ont ainsi été débloqués pour cinq pays : l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Le HCR a fortement rejeté l’interprétation qui consistait à voir dans ces projets la première étape vers l’élaboration d’un système extérieur de traitement des demandes d’asile et a déclaré que les « centres de réception » ne figuraient nullement dans ce projet.

Concrètement au Maroc, l’investissement du HCR dans le renforcement des capacités d’asile se fait sentir à plusieurs niveaux. En premier lieu, le bureau du HCR qui était jusqu’à présent une simple représentation est en train d’être complètement restructuré. Du personnel international a été nommé et remplace la représentation marocaine. Les personnes récemment nommées indiquent le recrutement prochain d’un responsable de la délégation ainsi que de volontaires des nations unies pour la détermination du statut de réfugié. Le HCR, qui en outre fait part des négociations difficiles avec les autorités marocaines, se lance également sur le terrain de la formation. La nouvelle délégation a en effet indiqué aux associations, être en pourparlers avec les autorités pour mettre en place des programmes de formation à l’attention des autorités publiques. En outre, le HCR vient de financer en grande partie un programme de formation sur l’asile, à destination des acteurs associatifs, qui sera mené par la Cimade et l’AFVIC.

Ainsi, malgré la mise à l’écart des propositions de centres « d’accueil » au niveau de l’UE, l’intérêt marqué par l’Italie et l’Allemagne pour de tels projets laisse craindre que ces derniers ne ressurgissent de manière bilatérale. En outre, malgré tout l’intérêt du développement de la protection des réfugiés au Maroc qui est signataire de la Convention de Genève, il est à craindre que ces Etats membres ne s’appuient sur les projets de renforcement des capacités d’asile des pays tiers pour tenter de justifier la mise en place de projets d’externalisation du droit d’asile. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation totalement paradoxale qui consisterait à ne pas promouvoir l’amélioration de la protection des réfugiés dans les pays d’Afrique du Nord de crainte que certains Etats membres n’en profitent pour se défausser de leurs obligations internationales qu’ils sont pourtant censés remplir.

La triste actualité de ces derniers mois concernant les diverses tractations entre la Libye et l’Italie annonce les dérives auxquelles s’exposent les Etats membres en traitant la question de l’immigration sous l’unique angle de la lutte contre l’immigration clandestine. Non contente d’avoir obtenu la levée de l’embargo européen imposé à la Libye afin de pourvoir lui fournir le matériel « nécessaire aux contrôles de ses frontières extérieures », l’Italie a procédé en moins de six mois à trois séries de renvois massifs et collectifs de migrants en violation complète de l’obligation de non-refoulement de la Convention de Genève et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui interdit les expulsions collectives.

Le silence et la caution de la Commission européenne, malgré l’interpellation d’ONGs et de parlementaires, symbolise parfaitement non seulement l’angle ultra-sécuritaire que l’Union a choisi pour aborder des questions qui touchent aux droits fondamentaux mais également le mépris avec lequel elle traite ses engagements internationaux.


 Le cas du Maroc - Espanol - [Mohamed Balga, Pateras de la vida, Maroc]

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