Espagne/Maroc : Un an après Ceuta et Melilla, les droits des migrants et des demandeurs d’asile sont toujours en danger

Un an après que 13 migrants aient été tués et des centaines d’autres blessés en tentant de pénétrer dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, les enquêtes sur les actions des forces de sécurité marocaines et espagnoles impliquées ne sont toujours pas terminées, et aucune mesure préventive n’a été adoptée.

Dans un nouveau rapport fondé sur les témoignages de victimes et les contacts d’Amnesty International avec les autorités espagnoles et marocaines au cours de ces deux dernières années, notre organisation exprime sa préoccupation quant à l’absence de garanties d’impartialité, d’exhaustivité et d’efficacité des enquêtes ; en outre, aucune mesure disciplinaire n’a été prise pour la mort ou le mauvais traitement de migrants à ce qui correspond, pour l’instant, à une impunité de fait.

« Les autorités d’Espagne et du Maroc ont non seulement fait un usage excessif de la force pour procéder au retour forcé des migrants et des demandeurs d’asile, mais dans de nombreux cas, elles les ont expulsés immédiatement et en masse vers des pays où ces personnes courent le risque de subir la torture ou d’autres mauvais traitements », a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« De nombreuses personnes ont quitté des États ravagés par la guerre, où la pauvreté extrême et la maladie prévalent ; parmi ces personnes se trouvent des gens exerçant leur droit à demander l’asile. En les expulsant, l’Espagne comme le Maroc ont violé leurs obligations nationales et internationales relatives aux migrants et aux demandeurs d’asile. »

Trois personnes ont encore été tuées en juillet 2006, en essayant de pénétrer en Espagne depuis le Maroc. Le lendemain, le ministre espagnol de l’Intérieur a accepté de fournir à Amnesty International des informations mises à jour sur l’enquête concernant cet épisode et d’autres moins récents ; pour l’instant, notre organisation n’a reçu aucune de ces données.

« Le ministre de l’Intérieur espagnol doit tenir sa promesse en fournissant à Amnesty International les résultats des enquêtes, et faire en sorte que la réglementation relative au recours à la force respecte les normes et textes de loi internationaux », a ajouté Nicola Duckworth.

« Une agence indépendante et dotée de ressources suffisantes doit être établie, pour enquêter sur toutes les allégations de graves violations des droits humains par des responsables du maintien de l’ordre. »

Amnesty International a exprimé ses inquiétudes à plusieurs reprises quant aux allégations de mauvais traitements et d’usage excessif de la force par la Garde civile espagnole, notamment l’usage d’armes et à feu et de balles en caoutchouc à courte portée, lors du face-à-face avec les migrants et demandeurs d’asile qui essayaient de franchir les barrières entre Ceuta et Melilla.

En outre, lorsque des personnes sont interceptées par les Gardes civils espagnols dans la zone entre les deux barrières frontalières, elles sont souvent expulsées immédiatement et illégalement par l’un des postes d’accès, le plus proche du territoire marocain. Ces personnes n ?ont à aucun moment la possibilité d’obtenir une aide juridique, et n’ont pas à accès à un interprète, comme l’exige le droit espagnol. Amnesty International considère inacceptable la déclaration des autorités espagnoles selon lesquelles le droit espagnol relatif aux étrangers ne s’applique pas « pleinement » entre les deux barrières frontalières.

« Les gens ne peuvent pas rester dans des limbes juridiques. Il faut décider de leur statut juridique », a déclaré Nicola Duckworth.

De l’autre côté de la frontière avec l’Espagne, cette année, comme les années précédentes, des milliers de personnes soupçonnées de migration illégale ont été arrêtées par les autorités marocaines et expulsées vers la frontière avec l’Algérie, près de la ville d’Oujda. Les personnes arrêtées sont toujours expulsées peu après leur arrestation, sans avoir l’occasion d’interjeter appel de la décision de les expulser ou d’examiner les fondements de cette décision, bien que ces droits soient garantis par le droit marocain. Une fois en Algérie, ces personnes sont souvent traitées de la même manière par les autorités locales, qui les expulsent sommairement vers la frontière marocaine ou d’autres pays voisins. « Les expulsions immédiates et collectives doivent cesser. Elles sont illégales, car elles n’examinent pas les cas individuels et n’identifient pas les demandeurs d’asile. En outre, la manière dont ces expulsions sont menées met souvent physiquement en danger les personnes expulsées », a ajouté Nicola Duckworth.

Amnesty International continue de recevoir des informations selon lesquelles des demandeurs d’asile figurent parmi les personnes arrêtées et expulsées, bien qu’en nombre moins élevé cette année que l’année précédente. Selon certaines allégations particulièrement inquiétantes, des responsables marocains ont confisqué des papiers du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui confirmaient que les personnes concernées étaient des demandeurs d’asile, et ont détruit ces papiers devant elles.

Amnesty International exhorte l’Union européenne à faire en sorte que l’Espagne, État membre, mène des enquêtes promptes, approfondies, indépendantes et impartiales sur le recours excessif à la force ou aux armes à feu par les forces de sécurité ; de même, des dispositions adéquates relatives aux droits humains doivent figurer dans tout accord de réadmission entre l’Union européenne et le Maroc.

Contexte

En octobre 2005, une délégation d’Amnesty International s’est rendue dans les villes de Ceuta et Melilla en Espagne, ainsi qu’à Nador, Oujda, Rabat et Tanger au Maroc, pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains commises par les autorités espagnoles et marocaines à l’encontre de demandeurs d’asile et de migrants. Au cours de cette mission, Amnesty International a reçu des informations inquiétantes sur des violations des droits humains à l’encontre de personnes essayant de franchir la frontière.

Source : Amnesty International