Le contexte et les faits du procès de l’incendie du CRA de Vincennes

Pourquoi une observation judiciaire ? Pour la première fois l’occasion était donnée d’un débat détaillé, public et contradictoire sur les conditions qui régnaient dans ce qui était, en juin 2008, le plus grand centre de rétention de France. Des conditions dénoncées depuis longtemps par tous ceux qui connaissaient le CRA de Vincennes, et qui sont à l’origine d’un double drame. Le premier, le plus grave, c’est la mort de Salem Souli dans sa cellule. Le second drame, c’est cet enchaînement d’événements qui, sur fond d’exaspération et de révolte, et après le départ en fumée, en quelques minutes, d’un bâtiment qui n’était manifestement pas aux normes requises, a conduit onze personnes en détention pour de longs mois avant que dix d’entre elles ne soient présentées devant le tribunal, accusées d’avoir mis le feu au CRA. Mais le débat attendu n’a pas pu avoir lieu.

Avertissement : un procès à charge Le compte-rendu de l’observation judiciaire réalisée par Migreurop, présent pendant toute la durée du procès, donne l’impression d’un procès qui s’est déroulé entièrement à la charge de prévenus. De fait, à partir du quatrième jour, la défense a décidé de quitter le prétoire, estimant, après le refus de la présidente du tribunal d’accéder à ses demandes d’information complémentaire et de renvoi de l’audience, que les conditions d’un procès équitable n’étaient pas réunies. C’est donc en l’absence des prévenus, de leurs avocats et des témoins cités par la défense qu’a continué le procès. Migreurop a cependant continué son observation, dont la chronique quotidienne tout au long des huit jours d’audience reflète une implacable construction. Une construction qui, à partir de l’interprétation de bandes vidéos pour l’essentiel illisibles, de dépositions recueillies dans des conditions contestables et de témoignages provenant tous de source policière, a abouti à un réquisitoire de plomb que n’étaye aucune preuve formelle de culpabilité.A travers l’Europe, les sans papiers luttent dans les centres de rétention à Vincennes, à Vottem en Belgique, à Kumkapi-Istanbul en Turquie, à Malte, en Grèce, en Italie...etc. Les révoltes dans les camps fermés d’Europe sont l’illustration du « ras le bol » des migrants d’être enfermés et maltraités du simple fait d’une entrée ou d’un séjour irrégulier sur le territoire.
Le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes, en France, a pris feu alors qu’une révolte avait éclaté en son sein à la suite du décès, la veille, d’un des détenus. Le 25 janvier 2010, s’ouvrait devant la 31ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris le procès des dix personnes mises en examen pour l’incendie du centre de rétention de Vincennes du 22 juin 2008.

Le contexte :

Le décès de Salem Souli, la goutte d’eau

Monsieur Souli, ressortissant tunisien, placé en rétention en vu de son renvoi, est décédé dans le CRA de Vincennes, le 21 juin 2008. D’après les témoignages recueillis [1] , le 20 juin, il aurait demandé à aller à l’hôpital, les policiers l’auraient emmené voir l’infirmier qui lui aurait affirmé qu’il était en bonne santé. Il n’aurait pas dormi de la nuit et aurait commencé à crier de douleur le matin du 21 juin. A 15h00, il ne se réveillera pas de sa sieste. Pourtant, les autorités ne feront rien pour chercher et informer ses proches. Le fils de Monsieur Souli n’a appris le décès de son père que quatre mois plus tard, la mère de l’enfant a porté plainte pour “rétention d’information, homicide involontaire par manquement aux obligations de sécurité, et omission de porter secours” [2] . Les conditions du décès de Monsieur Souli ne sont toujours pas connues bien qu’une autopsie ait été diligentée en France ainsi qu’en Tunisie où le corps a été rapatrié mais seulement des conclusions lacunaires ont été transmises [3] . La Cimade, seule association à avoir eu accès au CRA à l’époque, et la Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) se sont constituées partie civile.
L’atmosphère électrique du centre n’a pas pour seule origine le décès de Monsieur Souli : elle n’a pas été attisée par les associations et les soutiens à l’extérieur du centre de rétention comme a essayé de le faire croire la Préfecture de Police de Paris [4] ou Monsieur Frédéric Lefebvre, porte parole de l’UMP [5] , mais elle découle bien d’un profond climat de tension palpable depuis plusieurs mois.

Le CRA de Vincennes ou l’industrialisation du renvoi des étrangers par la France

La révolte du 22 juin 2008 était prévisible. Le centre de rétention de Vincennes était à l’époque le plus grand de France, séparé en deux bâtiments (CRA 1 et CRA 2) de 140 places chacun.
Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit à son article R 553-3 que les centres ne dépassent pas une capacité de 140 places. Malgré l’artifice juridique qui consiste à faire croire qu’il y avait à Vincennes deux centres distincts, on était bien face à un centre de rétention de 280 places, bien au-delà du nombre de places prescrites par la réglementation. Les constats effectués par la Cimade, seule association qui était autorisée à entrer en centre de rétention avant janvier 2010, ne laissent aucun doute à ce sujet : « Il s’agit de la même gestion de police, un seul commandant secondé d’un capitaine, un bureau unique qui centralise les dossiers, les mêmes escortes, le même service médical... » [6] . L’association dénonce par ailleurs l’agencement du centre : « Sa configuration spatiale, l’exigüité des locaux, le peu d’espace de promenade, le contact humain réduit à l’extrême, les guérites de surveillance, la multitude des caméras, les rouleaux de barbelés posés en double transforment Vincennes en un véritable camp de rétention » [7] . La Cimade dénonce depuis longtemps les conditions d’enfermement dans ce centre et met en avant le risque de tension aigue entre les détenus, mais également entre la police et les détenus. Dans son rapport 2007 sur les centres et locaux de rétention administrative, l’association rapportait plusieurs évènements qui avaient échelonné l’année : violences entre détenus, grève de la faim, refus de monter dans les chambres, violences des policiers sur les détenus mais également violence des détenus sur les services de sécurité privé du centre...etc. L’association liait déjà clairement la superficie du centre, machine de déshumanisation, avec l’émergence de la violence ainsi que le sentiment d’insécurité des détenus [8]. En 2008, La Cimade continuait d’alerter les autorités et mettait en évidence dans son rapport annuel l’accentuation du climat d’insécurité et de violence qui règne dans le centre. Ainsi étaient mentionnées courant février 2008 des violences physiques de la part des services de police contre les détenus. Courant avril 2008, les détenus se sont mobilisés en rétention, faisant écho à des mobilisations à l’extérieur du centre, en déchirant leur carte d’identification ; d’autres ont entamé une grève de la faim en réaction à la mort d’un sans papier décédé en sautant dans la Marne afin de fuir un contrôle d’identité. Début juin 2008, plusieurs faits de violences pA travers l’Europe, les sans papiers luttent dans les centres de rétention à Vincennes, à Vottem en Belgique, à Kumkapi-Istanbul en Turquie, à Malte, en Grèce, en Italie...etc. Les révoltes dans les camps fermés d’Europe sont l’illustration du « ras le bol » des migrants d’être enfermés et maltraités du simple fait d’une entrée ou d’un séjour irrégulier sur le territoire.

Le 22 juin 2008, le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes a pris feu alors qu’une révolte avait éclaté en son sein suite au décès d’un des détenus. Les 25, 26 et 27 janvier 2010, la 31ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris jugera les dix personnes mises en examen dans l’incendie du centre de rétention de Vincennes du 22 juin 2008.

Migreurop dans le cadre de sa campagne pour un droit de regard [9] dans les centres de rétention réalise une observation judiciaire du procès.hysiques de policiers sur les retenus étaient relevés, les détenus continuant de se mobiliser pour revendiquer leur droit à la liberté [10] . La tension était donc à son comble à la veille du décès de Monsieur Souli.

Outre ces avertissements, la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d’attente (CRAZA) avait tiré quinze jours avant l’incendie la sonnette d’alarme dans un rapport remis au gouvernement. Elle y soulignait le "climat de tension et de violence qui règne de façon permanente dans tous les CRA et spécialement à Vincennes, où un rien suffit à mettre le feu aux poudres" et souhaitait "très fermement que la capacité du pôle de Vincennes soit ramenée" à 140 places maximum [11] .

Après des travaux, le CRA de Vincennes a rouvert en novembre 2008, avec une capacité d’hébergement de 120 places actuellement, 180 prévues à partir du mois de septembre.

Les faits :

Le 21 juin 2008, Monsieur Salem Souli décède au centre de rétention de Vincennes. D’après les témoignages [12], les détenus ont souhaité avoir des explications sur les circonstances de ce décès. Ils auraient formulé cette demande à plusieurs reprises sans qu’aucune explication ne leur soit donnée. Une marche silencieuse en mémoire de Monsieur Souli fût organisée par les détenus, le 22 juin 2008, en début d’après midi.

D’après certains témoignages [13] , au CRA 2, la marche a été interrompue par les services de police qui aurait essayé de faire rentrer les détenus dans leurs chambres et aurait gazé les plus virulents. La tension serait alors montée d’un cran. Les détenus seraient rentrés dans leurs chambres mais en seraient sortis avec des matelas. Au même instant, toujours d‘après les témoignages, les policiers se seraient dirigés en masse vers le CRA 1 [14] dans les centres de rétention réalise une observation judiciaire du procès.nsfrontieres.org/IMG/fckeditor/UserFiles/8P_vincennes_12-2009_A4.pdf] ]] puisque apparemment, une révolte était également en cours. Selon certains témoins, le gros de la révolte - et de la répression - aurait eu lieu au CRA 1. Les témoins du CRA 2 affirment qu’ils pouvaient sentir l’odeur des gaz lacrymogènes et entendre les cris venir du CRA 1 [15]. Des témoignages venant du CRA 1 affirment que des policiers ont frappé et gazé plusieurs détenus qui étaient dans leur chambre [16] . La tension aurait encore augmenté. Puis, il y a eu le feu.
Les témoignages divergent concernant les départs de feu. Certains pensent que le feu est parti du CRA 1 [17] , d’autres du CRA 2 [18] . Le Syndicat Général de la Police [19] affirme qu’un premier départ de feu a eu lieu du côté de l’avenue de Gravelle pour ensuite se diriger vers le parking. Certains témoins rapportent que les pompiers auraient mis du temps à arriver [20]. Les détenus auraient été rassemblés dans le gymnase de l’école de police attenante au centre. D’après les témoignages à l’intérieur du centre, la situation était apLe contexte et les faits ocalyptique et traumatisante, les détenus ayant le sentiment que les policiers voulaient “sauver les meubles” [21] plutôt qu’eux. Dix huit personnes ont été conduites à l’hôpital pour intoxication, le reste des détenus a été transféré et réparti comme suit dans d’autres centres de rétention à travers la France [22] :

Nîmes-Courbessac : 100 personnes
Lille-Lesquin : 54 personnes
Paris-Dépôt : 40 personnes
Rouen-Oissel : 22 personnes
Palaiseau : 18 personnes
Mesnil-Amelot : 10 personnes

La plupart ont été libérés et d’autres déférés au parquet pour être entendus.
Dix personnes ont été mises en examen pour "destruction de biens par incendie" et "violence volontaire sur agent de la force publique". A la veille du procès, l’un d’entre eux était encore détenu, sept avaient été remis en liberté, et deux étaient sous mandat d’arrêt. Les peines encourues vont jusqu’à dix ans de prison et 150 000 euros d’amende [23] .