Quand l’UE sous-traite sa politique migratoire aux tyrans

L’Humanité (France), 21/09/2015

Depuis le processus de Rabat en 2006, les pays européens demandent à divers pays du Sud de gérer des camps où sont triés les demandeurs d’asile.
L’Europe forteresse se boucle à double tour et laisse des pays peu respectueux des droits humains jouer les vigies. Le processus de Rabat en 2006 et plus récemment celui de Khartoum en novembre 2014 permettent à l’Europe de sous-traiter les demandes d’asile directement dans des centres d’accueil proches des pays de départ. Le premier processus regroupe les pays du pourtour de la 
Méditerranée (du Maroc à la Turquie) et le second, dont les négociations sont encore en cours, rassemble plusieurs pays africains (Tunisie, Libye, Égypte, Soudan, Sud-Soudan, Éthiopie, Érythrée, Djibouti, 
Somalie, Kenya).

La session du Conseil de l’Union européenne (UE) du 10 octobre 2014 qualifiait Rabat de « modèle » et se proposait d’étendre l’expérience à d’autres régions d’Afrique, officiellement pour lutter contre le trafic d’êtres humains. «  Les pays du processus de Rabat sont confrontés au problème de ne plus être seulement des pays de départ mais de transit. Et celui-ci se fait surtout depuis les pays de la Corne de l’Afrique  », commente Marie-Christine Vergiat, députée européenne du Front de gauche. L’on confie à des régimes instables la responsabilité d’accueillir les demandes d’asile.

Le sommet de La Valette (Malte), les 11 et 12 novembre, illustre bien cette contradiction. L’UE compte discuter de sa politique migratoire avec des pays comme le Soudan d’Omar el-Béchir ou l’Érythrée d’Issayas Afeworki. Au total, devraient y participer 85 délégations de différents pays africains et européens, en plus des structures des Nations unies et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

« Tant que ces migrants sont enfermés hors de l’Europe, on s’en intéresse peu », déplore Emmanuel Blanchard, président de Migreurop, réseau européen et africain d’associations et de chercheurs qui lutte contre cette politique d’externalisation. L’on repousse les personnes avant même qu’elles n’abandonnent leur pays. Dans les centres polyvalents au Niger, un projet pilote développé en début d’année, les futurs clandestins sont fichés et dissuadés de poursuivre leur route vers l’Europe. Dans les centres d’accueil dans la Corne de l’Afrique, les personnes sont retenues. Les voies légales demeurent inaccessibles ; les ambassades sont bouclées et l’expérience démontre que les mesures restrictives ne servent qu’à favoriser l’entreprise des passeurs et à multiplier le nombre de morts. «  Le processus s’est accéléré en 2001 après les attentats de New York. Tous les programmes de rejet des migrants se sont mis en place à partir de cette date-là et, au fur et à mesure, on a considéré qu’on ne pouvait plus gérer ça à l’intérieur de l’UE et qu’il fallait externaliser le “problème” », ajoute Marie-Christine Vergiat.

Et si les migrants arrivent malgré tout à rejoindre l’Europe, entrent en scène les fameux «  hotspots  ». Ces centres de tri, cette fois à l’intérieur même des frontières de l’UE, sont le moyen de ficher les migrants pour les empêcher de retenter l’expérience en cas d’expulsion.

Mais que proposer face à une politique migratoire vindicative ? «  La priorité est de mettre en place un plan massif de secours en mer. Les demandeurs d’asile doivent pouvoir arriver sur le sol de l’UE et il nous faut un régime d’asile européen, car actuellement celui-ci varie d’un pays à l’autre. Nous voulons le respect du droit au regroupement familial, au travail, à l’éducation, le respect des mineurs isolés. C’est simple : nous voulons l’application du droit international  », conclut Marie-Christine Vergiat.

Lien de l’article d’Élisa Poch sur l’Humanité