Lettre ouverte interassociative à l’association ‘Européens sans frontières’ et au réseau de cinémas MK2

Diverses associations de défense des droits ont souhaité réagir à la vidéo "Eurodame help !", produite par l’asociation Européens sans frontières et diffusée par le réseau de cinémas MK2 en France, et qui présente à tort et de façon infantilisante une Europe salvatrice et accueillante envers les personnes exilées.

Par la présente, nous, organisations et réseaux de solidarité avec les personnes étrangères, souhaitons vous faire part de notre consternation concernant le court métrage "Eurodame, help" produit par Européens sans frontières et diffusé dans les cinémas du réseau MK2. Celui-ci constitue à notre sens un raccourci mensonger relevant de la désinformation face aux véritables actions de l’Union européenne (UE) et de l’agence Frontex dans la « gestion » des mouvements migratoires.

Ce film présente une vision fantaisiste, catégorisée, victimisante et utilitariste des migrations («  Il n’y a pas de travail en Europe ! » 0’22, « J’avais grand besoin de vous  » - 1’17), et laisse entendre – à tort – que seuls les demandeurs d’asile originaires de certaines zones pourraient prétendre à des droits, et que le continent européen serait mis en en danger par les personnes migrantes (« l’Europe protège ses frontières » - 1’22).

Frontex – agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières chargée du contrôle des frontières de l’UE – est présentée ici comme le gardien d’un camp potentiellement dédié à l’accueil, semi-ouvert et supposé représenter les portes d’une Europe salvatrice et accueillante, chargée de trier le grain de l’ivraie (migrants économiques – 0’23 et passeurs – 0’30).

La narration sur le registre du conte de fées, en plus d’infantiliser le grand public, minimise les drames quotidiens précisément générés par la politique migratoire sécuritaire de l’UE, dont Frontex est l’un des instruments. Elle véhicule l’idée fallacieuse qu’il y aurait d’un côté les migrants dits « économiques » qui auraient quitté leur pays par choix et de l’autre les réfugiés, contraints à l’exil – qui seuls seraient susceptibles d’accéder aux portes de l’Europe. Elle suggère également qu’il suffirait d’un coup de baguette magique (Eurodame apparaissant en fée Clochette – 0’39) pour protéger les personnes réfugiées, et d’un tapis volant (0’48) pour pallier l’absence de voie d’accès légale et sûre, et permettre ainsi aux (seules ?) personnes fuyant la guerre d’être « accueillies » en Europe.

A nos yeux, ce court-métrage relève, sinon de la propagande, du moins de la manipulation de l’opinion publique. A aucun moment, il n’évoque la réalité des migrations : la multiplicité et la complexité des motifs de départ, souvent entremêlés, les routes de plus en plus périlleuses et mortelles (au moins 30 000 morts depuis les années 2000), des obstacles de plus en plus nombreux entravant délibérément la mobilité humaine (visas, barrières, militarisation des frontières, renforcement des contrôles, biométrie, collaboration renforcée entre pays), l’impossibilité pour de trop nombreuses personnes de voyager parce qu’on leur refuse ce droit.

De plus, à aucun moment, ce court-métrage n’évoque les véritables missions de Frontex qui depuis dix ans ne cesse de gagner en puissance, avec des conséquences néfastes sur les droits des personnes en migration, y compris des violences (documentées) lors d’opérations sous l’égide de l’agence.
N’en déplaise à ses communicants, qui tentent coûte que coûte de redorer son blason auprès du grand public, Frontex ne protège pas les personnes réfugiées ou migrantes. Frontex coopère, échange de l’information et expulse vers des pays où les violations des droits sont largement connues (Afghanistan, Nigeria, Egypte, Soudan, Niger, Turquie, RDC, Biélorussie, notamment). Elle est un outil de surveillance, de filtrage, d’expulsion, et de fichage des personnes.

Quant à l’UE, elle est loin d’avoir développé une politique commune de l’accueil, y compris pour les personnes en quête de protection. L’accès au territoire européen est clairement entravé, alors qu’il s’agit d’un élément central pour faire valoir le droit de quitter tout pays, le droit d’asile, le droit au regroupement familial, ainsi que pour réduire la dangerosité des parcours et permettre aux personnes de réaliser un projet migratoire.
Ce film passe sous silence l’approche exclusivement sécuritaire et quasi-militaire qui oriente depuis 20 ans les politiques migratoires européennes, réduites au contrôle des frontières.

En lieu et place de cette fable douteuse, il eût été responsable de rappeler que la migration est un droit, bafoué à l’heure actuelle, au mépris de la législation internationale et du principe d’égalité.
Face au repli sécuritaire alimenté par la médiatisation de prétendues « crises migratoires », il nous apparait crucial de contrer un discours politique erroné et dangereux et d’en appeler à votre responsabilité, liée notamment à votre capacité de diffusion en matière culturelle.
C’est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir cesser immédiatement la diffusion de ce court-métrage et restons à votre disposition, si vous le souhaitez, pour échanger sur cette thématique.

Au regard de l’importance des enjeux qui touchent à cette question, vous comprendrez que nous souhaitions rendre public le présent courrier.

Paris, le 13 juin 2017

Organisations signataires :
AEDH (Association européenne pour la défense des droits de l’Homme)
EuroMed Droits
FIDH (Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme)
Frontexit
LDH (Ligue des Droits de l’Homme)
Migreurop